139 bis






— Aujourd'hui le vent gonfle des voiles noires portant le deuil du disparu... Hier un homme s'est noyé, il s'est noyé devant vous monsieur M. ! Oui devant vous ! Et vous n'avez pas bougé le moindre cil ! Vous n'avez pu ignorer les cris d'urgence avant la noyade, leur écho de solitude glaciale... Comment leur terreur n'a éveillé en vous ni compassion, ni pitié ? N'importe quel homme digne de ce nom face à une situation aussi extrême aurait tenté de sauver cette voix à la merci des eaux ? Même un chien aurait au moins aboyé ! Je ne vous reproche pas de ne pas avoir plongé mais vous auriez pu hurler à votre tour, frapper aux portes alentour pour ainsi trouver du secours ! Au lieu de ça vous l'avez regardé mourir comme une vulgaire mouche à l'agonie, sans même un semblant de stupeur dans votre regard. C'est dire l'indifférence obscène qui vous habite, froideur contre nature qui aujourd'hui me fait douter de vous en tant qu'homme...
Alors dîtes-moi monsieur M., de quelle espèce êtes-vous ?

(silence)

— Je suis le singe de vos discours nauséabonds, descendant des mots puant l'indigène à plein nez. Et c'est en effet avec passion pour l'indifférence que je regarde les hommes de votre espèce crever.
À l'encontre de cette nuit brune s'avançant et débattant à visage découvert, voici quelques élans de la Danse de l'Aigle... des hommes de jadis, des hommes du passé...ces hommes de haut site, nos frères nos voisins nos ancêtres...nos semblables. 
Nous sommes tous des singes !  Vous entendez ? Tous, sans exceptions !



"Jadis les hommes de haut site, la face peinte d'ocre rouge sur leurs mesas d'argile, nous ont dansé sans gestes danse immobile de l'aigle. Ici, ce soir, et face à l'Ouest, mimant la vergue ou le fléau, il n'est que d'étendre les bras en croix pour auner à son aune l'espace d'un tel an: danse immobile de l'âge sur l'envergure de son aile."

Saint-John Perse




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