#254


Puisque nous nous devons dans nos travaux d'écriture publiés, d'effacer notre nom, décharger notre pronom de notre insupportable moi, user de la fiction pour à la fois se dire et s''échapper de ce "dit", j'espère qu'ici, nous pouvons, l'un comme l'autre, sans culpabilité aucune, nous livrer à partir d'un "Je" le moins fictif possible, un "Je" qui se rapprocherait de celui de la parole sauf qu'ici nous ne parlons pas.

Tu écrivais ces quelques lignes à l'inconnu de confiance, il y a déjà longtemps. Tu ne cesses de penser à l'échec de votre correspondance. Tu as laissé l'oubli mûrir... jusqu'au pourrissement. Les relents de sa présence, de sa voix dans les courriers passés, asphyxient aujourd'hui le silence de tes heures misérables.


Seul dans la jungle, tu attends sans fin que son absence te réponde. Parfois, derrière le cri des singes, tu crois reconnaître ses mots dans le revers des tiens. Tu crois même apercevoir à tes côtés sa silhouette. Tu te dis : pas de doute, c'est lui, ça ne peut qu'être lui, mon frère de sang noir, celui de l'encre sans visage avec laquelle je correspondais



Mais le mirage ne dure que quelques secondes. Ce n'était là que ton ombre sur un mur. Un mur millénaire qui s'écroule sous tes yeux. Le souvenir de l'inconnu s'estompe dans la volute de poussière. Le regard dévasté, tu erres dans les ruines d'une correspondance qui n'a jamais eu lieu. 



Ta nature te ronge de toutes parts. Elle reprend ses droits sur les remparts que tu croyais inviolables. Tu relis nauséeux tes anciens courriers. Tes remords se réveillent en sursaut : un véritable tremblement de chair. Les mots que tu as adressés à l'inconnu se retournent contre toi. Ils sont tous pétris de la même boue, du même bruit... Qui voudrait correspondre avec l'aboiement d'un homme dans la nuit ? Qui ? Dis-moi... 




Cesse de te duper. Déjà ton masque tombe sous le regard des pierres. Devant elles, tu baisses la tête, tombes à genoux, te soumets. Pour la toute première fois, tu refuses de dissimuler tes plaies sous une énième posture. Après plus de trente ans de guerre, il est grand temps de poser les armes. 



Les mains nues, tu fais offrande de ton orgueil, de ta honte. Parce que tu crois. Parce que tu as trouvé au coeur même des pierres une adresse où demander pardon.




Commentaires

annaj a dit…
un blog se lit toujours...étrangement quand on s'aperçoit qu'il n'est plus nourri de mots, il conserve une évocation silencieuse qui chemine en nous et ne sait s'éclipser
lanlanhue a dit…
au coeur des pierres, une adresse