#462


J'écris au rythme des vagues. Je ne vois pas la mer de ma meutrière. Juste son reflet dans le ciel. J'erre dans l'écho des vagues invisibles. Je marche sur la plage d'un rêve, un rêve inventé de toutes pièces, un rêve qui creuse des fragments du dedans. Un rêve qui explore le personnage réfugié en moi. Un rêve qui dort dans une cellule.

Même après une balle dans la tête, même brûlé dans un livre, même enterré sous le sable, vous êtes encore là monsieur M. Votre jugement suit comme une ombre mon écriture. Il y a vos empreintes derrière chacun de mes mots. 

Je sens votre odeur de silence, sa froideur, je sens votre désir de ne plus faire semblant. Je sens de l'intime qui remue le corps, oui monsieur M. aujourd'hui, vous ne sentez plus l'encre mais la chair d'homme, vous n'êtes plus un personnage, vous êtes ici, assis sur la chaise, face à moi, vous n'êtes pas un reflet dans le miroir, vous n'êtes pas une fiction, vous êtes une version de la vérité, vous êtes le délire d'un homme qui se cherche... sans jamais se trouver. 

Il y a un homme derrière moi, un homme en késa qui me surveille, j'entends son pas approcher. Il ouvre la boite aux lettres de ma cellule. Elle est vide. La feuille sur mon bureau est encore blanche. J'entends le bruit du trousseau de clé. J'ai peur...

La lumière du couloir est blanche comme ma feuille. Je ne vois que sa silhouette d'ombre, debout, dans le contre jour de la porte ouverte. Une main dans le dos, l'autre tendue, non pour aider mais ordonner quelque-chose. Il dit d'une voix aussi calme qu'autoritaire :
— donnez-moi votre page du jour.
— c'est que je n'ai rien écrit. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Toute la nuit. Mais vous m'avez interdit les ratures ! Comment poser le moindre mot quand ceux qui me viennent en bouche sont tous à raturer...
— donnez-moi votre page du jour.
— je n'ai rien écrit du tout ! Pas un mot vous comprenez ? Pas un !
— donnez moi votre page du jour

L'homme en kesa garde la main tendue, l'autre toujours dans le dos. Je ne sais plus quoi dire. Ni quoi faire. Je suis nerveux, ignorant tout des représailles. Qu'est ce que ça coûte de ne rien écrire ?

Je lui tends la feuille blanche comme un voleur surpris la main dans le sac qui, tête basse, rend l'objet dérobé. J'ajoute :
— Voyez vous-même. Je n'ai rien écrit.
L'homme en késa regarde la feuille blanche. Il est extrêmement concentré. Il reste de longues minutes à lire ce que je n'ai pas écrit. Ça semble le concerner. Puis il relève les yeux sur moi. Dans la pénombre je devine la gravité de son visage. Il tend la main restée dans le dos jusque-là, et dit :
— Voici votre nouvelle page. Je reviendrai à la même heure demain.
— pourquoi me donnez une nouvelle page ? Autant garder la même puisqu'elle est encore vierge...
— Cette page ne vous appartient plus.

Il s'en va, la page blanche dans le dos. Il me semble y avoir aperçu des mots avant qu'il ne ferme la porte. La mer est calme. Le bruit des vagues a disparu. À la meurtrière, plus qu'un silence et moi.



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