#497
Coffee shop. Comme à Dam. Menu d'herbes : THC dans les pâtes, le poulet, les gâteaux ou bien roulé dans un fin collage. La jeunette tatouée serviette enroulée sur la tête interrompt sa séance maquillage pour m'accueillir. La verte est bien illégale ici, non ? Et même durement réprimée ? Du moins je le pensais avant d'échouer dans ce fumoir sans lumière, refuge en plein centre ville, au bord d'une rue sans trottoir, juste ã côté d'une vendeuse de soupe maison. Musique de merde à fond, les basses font grésiller les enceintes bon marché qui crache un mauvais hiphop-popisé–varièt—àchier. Dommage que les tenants n'aient aucun goûts musicaux. Pas mieux niveau déco : cliché du salon fumette branchouille, peintures horribles de Gandhi, d'une femme à 3 têtes qui prient, rideaux à fleurs, tissus made in China à tendance arabo-hindouiste-hippie-piphourra. Je ne comprends pas comment ce lieu peut exister. Comment arrivent-ils à échapper aux flics ? le proprio est-il un kamikaze, se foutant de finir en taule, ou est-ce le fils d'un flic ? un flic lui-même ou même quelqu'un de plus haut placé, dans la mafia, ou le parti... si je continue à écrire sur ce terrain c'est moi qui risque de finir en taule, mes soupçons pensent de travers, un oeil sur ce billet et je suis bon à bannir. Étant de structure paranoïaque, j'exagère peut-être un peu... mon ignorance quant à l'existence de ce lieu me plonge dans un scénario terrible, j'imagine les flics rentrer en trombe, arrêter tout le monde, serveurs, clients, arrestation musclée, je finis menottes aux poignets, interdit de rentrer sur le territoire, retour en France pour toujours, direction déprime... Arrête ta parano ! Détends-toi nom de Dieu ! Si ce lieu existe, qui plus est en plein centre, ça ne doit pas être si risqué ! la loi a peut-être changé à ce sujet. Ils font même de la pub sur Facebook et tous les sites de sorties saigonnaises ! Arrête d'imaginer le pire tout le temps, tu vas finir par avoir une crise cardiaque à constamment angoisser comme ça ! lève un peu les yeux de ton écran ! Fume ton pers' tranquillement ! regarde la serveuse pour te changer les idées. Elle est d'une beauté... tatouée sur le mollet et la cuisse gauche, l'épaule droite aussi, on dirait la peau d'un serpent par endroit, les tatouages sexualisent sa peau à mort, elle est de plus très polie ! son "you're welcome" m'a tout de suite séduit. Je regarde ondulé son corps luisant du désir de la voir nue, toute nue pour moi tout seul. Un autre type la regarde en même temps, il bloque sur chacun de ses mouvements, la les yeux plissées et la bouche ouverte... elle aussi ouvre la bouche, la referme, elle mâche, suce les glaçons de sa boisson, ils fondent sur sa langue, coule dans sa gorge, sa soif m'assoiffe, j'essaie d'imaginer le goût de sa salive, de son venin, une ange maline légèrement défoncée en short et débardeurs blancs. Je pense à la manière dont elle embrasse, je pense à distance à lui pénétrer l'intérieur, déceler dans sa chair les secrets gémis dans sa voix... et puis soudain je me demande, passant ma main sur mon porte-monnaie, est-ce une prostituée ? après tout ils vendent de la verte, vendent-ils des femmes aussi ? Est-ce au menu ? C'est une possibilité, on se prostitue un peu partout, pourquoi pas ici ? ou bien elle est juste serveuse, étudiante au petit boulot mal payé, à quoi bon chercher à savoir ce qu'elle fait, d'où elle vient... très fine, peu de poitrine, mais suffisamment charnue pour ne pas me rebuter de maigreur. Je crois que je l'aime, comme j'en aimerai une autre en regardant ailleurs, oui je tombe amoureux des femmes que je regarde puis que j'oublie une fois parti. Elle n'est pas la seule serveuse du Coffee. Mais c'est elle qui retient l'attention de mon désir. J'ai le regard d'un lion qui choisit sa lionne parmi son harem de fauves... aujourd'hui c'est elle, demain une autre. Il suffit que je m'approche et ça se fera. Un jour je me souviens, dans un karaoké, on m'a fait choisir deux êtres humains pour me servir, me tenir compagnie, me faire boire et chanter, elles sont toutes venues, à la queleuleu... j'étais si gêné de choisir ! dans quels étranges rapports humains me plonge le monde, choisir une fille payée pour escorter un moment, inconnue en mini-jupe, je me souviens avoir à peine levé les yeux sur toutes les hôtesses, j'en ai pointé du doigt une au hasard, et elle m'a suivi, comme ça... seule avec elle devant l'écran un micro à la main, je me demandais, dans mon malaise, comment la solitude avait-elle pu me mener là ? Je suis un lion avec des états d'âmes. Voilà parfois, dans quelques endroits, comment tourne le monde. Je vis dedans, comme chacun, à ma place, qui plus j'avance dans l'âge, me semble la place d'un autre, un autre que moi vit ici bas, un type enlisé dans sa boue qui se résout à regarder sans broncher le monde comme il est, c'est ainsi, ce n'est pas de l'impuissance, il m'est souvent arrivé de me foutre de ce monde, un désintérêt total pour lui... le monde fut jusque là un terrain vague où jouer jusqu'à l'ennui, comme ma fille, comme Isabelle sur son tapis, qui peut être s'ennuie, en ce moment-même, et moi j'écris ici, sans elle... Je regarde à nouveau la serveuse tatouée, du coin de l'oeil, rapidement, par à coups concentrés, j'essaye d'en voir le plus possible tout en restant discret... le suis-je ? Ou bien a t'elle remarqué mon regard sur elle ? j'aime ces femmes que je regarde puis que j'oublie, une fois parti. Ici tout le monde se connait, tout le monde plaisante, tout le monde rit, la musique de merde toujours à fond, une merde entrainante, nappes de synthé ignobles. Soudain stupeur dans la salle : un type vient d'entrer avec un enfant, son fils, 6-7 ans dont je devine vaguement le visage dans la fumée, Tout le monde s'arrête, regarde le type et l'enfant s'installer, juste à côté de moi, un client recrache l'épaisse fumée de sa douille sous le regard de l'enfant. Et de son père. amène-t-il consciemment son fils dans un aquarium pareil ? Puis il comprend que ce n'est pas un lieu pour eux. Il échange quelques mots avec la serveuse, prends son fils par la main et sort. Une fois partis, il y a dans la salle comme une minute de latence, long silence froid jeté dans la salle par la présence de l'enfant. Comme si chacun seul prenait au même moment conscience de quelque chose. De je ne sais quoi d'intime et grave qui nous fait vite rallumer nos gros joints de beuh. «— Un jus de citron et un verre de trà dá s'il vous plaît. Merci beaucoup» Pourquoi suis-je à la fois extrêmement poli et très froid avec elle ? Ma politesse et ma froideur avec les autres masquent ma timidité. ce n'est pas que je manque de naturel. C'est que Je n'ai même plus de nature à force d'écrire autant. J'ai disparu dans l'écriture. Foutue espèce pas faite pour l'âme. Je suis si à l'étroit dans mon corps d'enfant de 34 ans... il y a des fois où l'on jalouse les arbres pour ce qu'ils sont, des arbres, de l'écorce, un lieu où prendre racine, pour quelques siècles. J'écris pour ne rien dire, muet comme un poisson nageant d'aquarium en aquarium, de vitre en vitre de café, un poisson égaré dans une mer trop petite pour lui, et qui trouve dans chaque oloé une bulle d'air où respirer, une bulle de mots, qui flotte dans l'air, prête à éclater pour métamorphoser le monde. Relève les yeux pour voir : ils sont six à l'autre table. Ça bédave sec. Toute l'après midi, douille sur douille. Fumoir sans fenêtre où tousser sa défonce. Rien de plus, ne pas chercher une raison à ça. Juste fumer. J'ai à peine entamer mon pers' qu'une urgence me démange les mains. J'écris pour ne pas rester seul avec mon corps. Mon corps trop faible pour dominer seul l'angoisse. Il y a quelques années je dérivais tranquillement dans les heures en faisant la planche. Aujourd'hui écrire est une bouée pour ne pas me noyer en moi-même. La feuille blanche rassure. Toujours quelque-chose apparaît en son sein. Sans écriture, il ne se passe rien. Sans écriture le corps, la pensée, les nerfs... fatiguent de vivre en silence. Ma parole peut exploser à tout instant. Sur le premier venu. L'écriture soulage la rétention du désir de parler. La verte aussi enfonce dans le silence. Dans le cendar le pers' à moitié fumé. Je l'écrase sàs regret. M'en vais marcher un peu avant de rentrer. Redescendre. Respirer. Sortir du lieu clos de l'écriture aux yeux rouge-sang. Me concentre sur le mouvement de ma marche. J'essaie de détendre chacun de mes membres, être le plus fluide possible, lutter contre ma rigidité. Retrouver une nature animale. Mon regard est rapide et précis. Rien ne lui échappe: ruelles, postures, lumières à éblouir la nuit... fais quelques photos à la volée. Comme pour mieux voir à quoi ressemble la ville en moi.
je ne sais combien de temps j'ai marché. Une fois arrêté, j'ai aperçu le croquis de mon ombre tracé sur le bitume par la lumière
puis je suis rentré avec mon double assis derrière, sur le siège passager
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