#201


Moins d'une heure après mon départ, Toulouse et sa banlieue est à une soixantaine de kilomètres de périph' et d'autoroute derrière moi. Il me suffit de bifurquer à droite sortie 23 pour reconnaitre vaguement le trajet. Son souvenir jusque-là en sommeil se réveille en sursaut me plongeant dans un étrange sentiment de déjà-vu. La route oubliée me dévoile à présent sa mémoire mètre après mètre, un peu comme les mots tracent leur propre chemin, phrase après phrase, sans égard aucun pour la main qui les sert. D'ailleurs je me demande: n'est-ce pas la même route, vue sous un autre angle, qui lorsque j'écrivais m'avait mené au village où monsieur M fut exécuté?


Il y a bien des noms de commune, de lieux-dits qui ne me disent absolument rien mais au moment même où je commence à me sentir perdu, il me semble reconnaître la peur de ce croisement plus que dangereux, la solitude de cet arbre au beau milieu d'un champ de blé, la froideur d'un bout de forêt d'où pourrait surgir une biche, l'odeur des bouses, du fumier, de ce triste rosier dans les ronces au pas de la porte d'une maison aux volets rouges et aux murs dévorés par le lierre... Je ne peux expliquer cette étrange familiarité avec cette route inconnue. C'est à croire que chacun de mes sens porte en lui la mémoire que j'ai perdue


Et puis j'ai croisé ce Christ crucifié au bord même de la route et je savais sans nul doute que j'étais bien sur mon chemin... de croix.



Je reconnais le village à la seconde où je pose les yeux sur son nom, village d'une centaine de mètres. Une dizaine de maisons, de fermes, une église et un cimetière. Des lampadaires. Une cabine téléphonique au combiné arraché. Rien d'autre. Pas un commerce. Pas un café. Aucune trace de vie à l'horizon. Le village d'une seule route à l'oubli de tout, peut-être même à l'oubli du temps. Quelle heure est-il? Quel jour sommes-nous? En quelle année?
Au bout du village, avant que son nom ne soit barré, je tourne à droite et découvre le portail bleu resté ouvert comme si quelqu'un m'attendait...


En pénétrant dans la grange, mon sentiment de déjà-vu est aussitôt devenu extrêmement angoissant. Je suis descendu de la voiture le poing serré, comme si une menace pouvait en ces lieux surgir à tout instant. J'ai à peine osé faire un pas anticipant déjà le bruit de mes chaussures sur les galets, l'odeur du bois sec, des arbres morts démembrés dans les charrettes, le grincement de la porte coulissante que j'hésitais à ouvrir sachant pertinemment que le denouement de l'enigme se trouvait derrière...











Commentaires

indice : les bottes...
Raymond Penblanc a dit…
C'est un texte à la fois très doux et très étrange,où plane une menace confuse dans un contexte qui semble pourtant familier (ou qui le devient au fur et à mesure,comme si on revisitait,non ps le passé,mais un rêve,un ancien rêve,ce que confirment les photos en noir et blanc,très belles d'ailleurs,et comme animées d'une lente dérive,nous conduisant vers,mais vers quoi au juste? Un envers,un au-delà du paysage?