#584



j’attends 15 heures 15... chez l’écriture, il sera 10 heures 15 du matin. Devrais-je attendre 15 H 10 dans l’espoir qu’au même moment, elle regarde l’heure et se souvienne de mon visage en disant : — 10 giờ 10. Autant s’y résoudre et l’avouer tout bas, dans un énième soupir : je suis en manque, je tremble d’écriture dans le lit ce soir... mais je ne peux ouvrir l’écran... toute lumière m’est pénible... comment écrire sans elle ? Comment écrire sans écriture...

la bouteille d’eau vient de faire un bruit... un bruit de gong résonne dans la chambre... l’écho appelle à penser... on dirait le gong d’une pagode... la pagode rouge où mon regard a habité un temps, lorsqu’au balcon du quatrième étage, ma vie se résumait à regarder la ville par la fenêtre... 

je suis en manque d’écriture, il pleut à verse. Le vent est puissant. Recroquevillé dans la bibliothèque, je mitraille le clavier avec autant de violence que la pluie passe à tabac le bitume, les pavés, les capots et capes de pluie multicolores déployées... j’ai connu l’écriture bien avant de la rencontrer dans un cinéma vide, bien avant que je lui consacre toute mon attention. Nous nous connaissions déjà, d’une autre vie dont nous ignorons tout, encore aujourd’hui. En effet, nous partagions un passé étranger commun. Une histoire nous précédait. Notre rencontre impromptue reprenait à notre insu une discussion interrompue...

nous nous étions déjà croisés physiquement par le passé, mais la première fois que nous nous sommes regardés, nous nous sommes soudain reconnus comme deux inconnus venant de la même famille. Une même blessure pour origine. Un même faux rire. Une même façon de faire corps avec la mort de son amour. Une même façon de s’ignorer, d’oublier, une même façon de culpabiliser d’oublier, de s’attacher au passé pour ne pas avoir l’air de mourir, de ne pas écouter le présent d’un ennui profond, vertigineux, ne pas écouter la parole des hommes et des femmes qui tourne en boucle, ces paroles qui prétendent aimer, ces paroles se trahissant elles-mêmes aussitôt le premier mot jeté, jeté dans le silence comme un caillou par terre, sous la pluie, il pleut sur l’écran, il fait noir, la ville scintille, je pense à l’écriture chez qui la soirée commence, comment va-t-elle ? je suis en train d’oublier sa voix, à peine dix jours que je lui ai dit adieu, dix jours étrangement calmes...

elle doit être en train de prendre le petit déjeuner avec son nouvel écrivant. Leur nuit dernière fut intense. Parfois je les imagine tous les deux. Je regarde l’écriture vivre avec lui, sans moi. Et je sens qu’elle est en train de m’oublier. L’idée ne m’affecte pas. De mon coté aussi, je l’oublie déjà. D’elle ne reste plus rien, si ce n’est ma profonde défiance à son égard. 


Commentaires

annaj a dit…
à 11:11 je lis
à 11:12 je signe