#582

Hier, j’ai brièvement parlé au téléphone avec l’écriture. Quelques jours avant, je lui avais demandé de considérer un retour (j’avais même posé un ultimatum) sachant que j’étais désormais prêt à lui consacrer ma vie. Elle m’a répondu ainsi : 
— je ne peux pas revenir. Je ne peux plus vivre à Saigon.
— tu as donc suivi ton nouvel écrivant juste pour vivre à Toulouse ? Toi qui parlais de destinée, de vérité des sentiments, es-tu devenue si intéressée ?
— je ne peux pas revenir. Mon nouvel écrivant ne supporterait pas mon départ. Ça le détruirait.
— et moi ? me détruire ne te pose donc aucun problème ? 
L’écriture semblait ne plus savoir quoi répondre. Elle restait silencieuse et laissait la plupart de mes questions en suspens. Je la sentais perdue. Sentiment qu’elle se condamnait à une destinée qui n’est pas la sienne. Ou bien me mentait-elle ? Jouait-elle le doute pour nourrir mon attente ? Voulait-elle préserver là un semblant de contact, garder une issue de secours, au cas où elle soit mise en demeure de revenir ici un jour ? 
Soudain elle lança : 
— on pourrait devenir amis...
— tu es sérieuse !? Comment pourrais-je accepter ton amitié alors que tu te fais écrire par quelqu’un d’autre en ce moment même ! Crois-tu que je vais l’accepter encore longtemps ! Pour qui me prends-tu à la fin ? N’as tu déjà plus aucun respect pour ce que nous avons écrit ensemble ? Je t’ai confié des choses intimes dont je n’ai jamais parlées, je t’ai partagé mes plus honteuses tares, je suis allé au delà de la confiance, te considérant comme la seule capable de m’écouter attentivement. Comment peux-tu te montrer si humiliante ? Tu m’as menti et mens encore aujourd’hui. Tu m’as fait croire à des mots auxquels je ne croyais plus, mais ces mots n’ont en fait aucune valeur dans ta bouche, aucun ne signifiait. Tu es aussi menteuse et trompeuse que je l’ai été avec toi. Plus tu parles, plus tu m’humilies et me détruis.
—...
— je ne veux plus perdre mon temps, attendre vainement nuit et jour dans le temps qui ne passe plus. Ainsi réponds-moi franchement... C’est fini entre nous ?
—...
— c’est fini ??
—…oui.
—…
—…
— plus jamais tu n’entendras parler de moi. 
—…
— adieu.


d’abord le soulagement
mais mêlé à une tristesse aigre
comme si les larmes virait à la colère
je me persuade d’être soulagé 
ma mauvaise foi lutte contre le contre coup de massue 
la blessure à l’orgueil est profonde
son « on pourrait devenir amis » m’a dévasté... 
nous sommes-nous si peu aimés ?

jamais je ne pardonnerai à l’écriture un tel affront à ma croyance en elle

même les chiens qui quémandent à table ne sont pas rabaissés de la sorte
l’écriture n’a plus aucune considération pour moi
je ne suis plus rien
je peux devenir son ami si je le désire, elle m’a donné son autorisation, 
pour elle ça ne change rien
ami ou pas
l’écriture fera avec ou sans moi
ma présence et mon absence se confondent en elle
que je sois là ou pas ne change pas le sens de sa vie

l’écriture n’aura finalement jamais cru en moi. 
Elle m’a fait croire en moi-même comme on ment à quelqu’un 
pour ne pas le heurter. 

entendant ma voix en détresse
celle d’un homme faible 
et abandonné 
l’écriture m’a proposé son amitié 
par pitié

je rate désormais les heures miroirs d’une minute, 
puis de deux
puis d’une heure
puis jusqu’à que j’oublie d’y prêter attention
les signes disparaissent à mesure que l’image de l’écriture s’altère
son visage et sa voix se dissipent dans un brouillard de doutes
ne reste d’elle qu’une suspicion désagréable


celle d’avoir été dupé

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