#410


machine à recouvrer la mémoire des textes perdus



plongée dans la machine à recouvrer la mémoire
mémoire des textes oubliés, volés, déchirés, brûlés, supprimés, 
remis à plus tard... à jamais

ici les vieux chantiers d'écritures perdus tapent à grands coups de marteaux dans mon crâne
et les rouages de la machine intérieure grincent et claquent comme de vieilles portes

te souviens-tu de tous ces tableaux jamais peints ?
leurs paysages intérieurs me hantent
et l'absence des portraits me dévisagent

je me souviens vaguement avoir imaginé
un jour il y a très longtemps
la nature morte d'un rat sur le trottoir
c'était quand ?

il suffirait simplement de poser un des cadres vides autour de la dépouille
la mort, rien de plus

quelques branches de phrases ont survécu
à côté des pinceaux séchés
sous le regard froid des fenêtres
elles poussent lentement à travers les fissures de la machine
dans l'eau usée des égouts
sur ses tuyaux percés des touffes de mots verts et secs 
s'échappent vers le ciel

mon regard n'entend plus rien
pas une virgule
pas un point
juste le chant échappé des meurtrières

combien d'incipit de récits, de romans 
combien de premiers vers raturés
combien de croquis de croûtes et d'esquisses inachevés ont échoué ici
combien ?

de quelle voix suis-je le reflet ?

qui sont les personnages errant encore dans les couloirs
où vont-ils
vers une issue que l'écriture n'a jamais su trouver ?
les pauvres
leur chemin s'est bien emmêlé

partout
entassées les unes sur les autres
mes idées mortes avant d'avoir écloses
partout
les portes closes sur le corps des textes 
condamnés à perpétuité

est-ce ce le bruit de leurs larmes
d'où fuient-elles
de mes yeux à moi ?!

mes mains ne souviennent de rien

assassin ! 
tu as du sang de rat sur les pattes !

comment tuer le temps qui n'en finit plus de passer

silence
les pronoms orphelins de leurs verbes se défenestrent
leur esprit marche encore dans les couloirs
je les entends j'entends leurs voix
je peux même apercevoir leur lumière dans le noir
elle est blanche comme un écran dans la nuit
face à l'autel dédié à leur mémoire
mes mains ne peuvent que trembler de remords

comment fonctionne la machine intérieure
où puise-t-elle son énergie
dans l'oubli ?
ses fils interminables sont-ils reliés à mon cerveau
à mes veines
à mon ordinateur ?
et si j'appuyais sur un des interrupteurs
la machine intérieure cesserait-elle de tourner ? 
effacerait-elle toutes ses données 
ou bien libèrerait-elle les voix et les couleurs qu'elle enferme ?

je lève les yeux vers les hauteurs de ce lieu
entre désir de vertige
et peur de tomber

sur le sol les cigarettes écrasées par dépit
les empreintes de la nuit menant à la table de travail 
lâchement désertée

je relis les courriers jamais envoyés
les lettres d'amour ridicules jetées de honte à la corbeille

sur les portes 
des mots amputés
le nom d'un auteur 
effacé

la bouche des murs reste close sur son identité

quel métier souhaiteriez-vous faire quand vous serez grand ? 
Poète avais-je répondu
j'avais même gravé le mot aux ciseaux sur mon pupitre
sans savoir vraiment de quoi il s'agissait

je n'en sais pas plus aujourd'hui

voilà
je repars avec deux petits sacs de croquis
de phrases
pas grand chose

adieu les pas
adieu les voix

la machine intérieure continuera de tourner sans moi

un
deux

etc... etc...











Commentaires

anna jouy a dit…
peut-on être celui qui écrit et celui qui efface
être celui qui arrache au silence et bâillonne
être l'image et la nuit
être un peu vif un peu mort
peut-on être le semeur et le sécateur

peut-on souffler des bulles de verre et les attendre une épine à la main pour les voir mille éclats mille bris

écrire et puis comprendre qu'on n'est jamais le maître de ce qu'on a fait naître. on ne peut que l'ex- ducere
Cette "cage" d'ascenseur et d'escalier, aux croisillons style art déco, belle vidéo couplée au texte !
personne a dit…
je découvre votre blog, j'en suis émerveillé,
merci de ces lectures, de ce voyage, de ces images
Anh Mat a dit…
Merci de vos passages...