#438


Aujourd'hui encore, personne sur l'estrade à scander des vers.


On ne cherche plus de raison à cela. Elle est toujours vide. Rares sont ceux qui ont déjà vu quelqu'un monter. La dernière fois, j'ai même entendu un enfant demander à sa mère : 
— C'est quoi ça ?
— C'est l'estrade à scander des vers ! 
(silence)
— .... C'est quoi des vers ?
Embarrassée la mère n'a pas su répondre. Et le petit garçon déçu s'est endormi dans ses bras.


Situé au milieu d'une rue à double sens, sous le feu rouge, juste devant le passage piéton, ceux qui montent sont le plus souvent ignorés, leurs voix n'a aucun écho dans le bruit de la ville en marche. Et quand quelqu'un tend l'oreille quelques secondes, il jette aussitôt au diseur un regard méfiant, parfois même venimeux.

Parce-que ce qui se dit sur l'estrade est absurde, va à l'encontre du mouvement de la ville, de toute parole rationnelle.

Dire des vers est inutile.

celui qui monte sur l'estrade occupe la place de l'inaudible, de l'invisible, du silence, place que la ville elle-même ignore avoir créé.

Les hommes à cheval sur leur moteur vont au bureau, rentrent chez eux, seuls, en couple, en famille, milliers de visages filants sur le bitume, regardant droit devant eux, absents de leur propre présence. À l'oubli de leur chair, de leur âme, ils passent comme le vent souffle, ne sont plus que l'air et la fumée de leurs trajets.

On croit souvent que le diseur fait la manche. Il arrive que des gens, sans même avoir écouté, s'arrêtent et jettent à ses pieds la monnaie de singe qui reste dans leurs poches...
Le diseur en fait don aux pagodes du quartier, aux vrais mendiants. Ou bien il jette d'un pont les quelques billets à l'eau.

Dire un poème est un acte gratuit. Il ne l'adresse même pas aux hommes. Mais à la ville elle-même. Non pour y trouver une place. Mais pour disparaître.

alors je me demande... 

l'absence qu'on croise tous les jours sur l'estrade est-elle celle du diseur disparu après avoir lu des vers ?




Commentaires

Il n'y a pas qu'Avignon, il y a aussi Saïgon.