#620

 



j’écris au pêcheur de bribes, de bouts d’épaves, je me remets à son savoir faire, je regarde avec amitié le seau à ses pieds, il n’y flotte que de bien maigres prises : un visage flou anodin, la silhouette d’un homme qui marche, un trottoir écrasé par la lumière... rien d’autre. Même pas de quoi faire une phrase. J’attends derrière lui, sans bruit, que le seau se remplisse, j’attends que l’englouti remonte à la surface, j’attends que mordent les bris de vitre accidentés, les morceaux de reflets de lumière, la couleur de la route, celle de l’accident, le panneau aperçu dans le rêve aussitôt foudroyé par l’odeur de la marée, la bribe flotte à présent dans le seau, il pêche, un recoin dans un livre lu à vingt ans, le souvenir amer après une discussion entre amis sur la fin, j’attends que le seau en soit plein, qu’importe d’où ça vient, de quelles mers en moi s’échappent ces odeurs de bières, de durian, ces vapeurs de déchetterie, qu’importe d’où vient ce sac, empuanti par la mort, ramené par le courant, on y voit pendre les pattes d’un animal, un mouton jeté par dessus bord, je ne sais plus sur quel rivage il avait échoué, je ne sais quelle tête faisaient les gens qui grimaçaient et se pinçaient le nez, un homme n’avait-il pas vomi, derrière l’escalier, juste derrière le pêcheur qui ne sait plus exactement ce qu’il pêche, ça ne semble avoir aucune importance à ses yeux, il pêche pour pêcher, sous des cris d’oiseaux dont j’ignore le nom, il me semble reconnaître leur voix, elles me sont de plus en plus familières, comme si j’entendais la voix d’enfant du père jouer sur la plage, il y a 70 ans, goûtant l'eau de mer d'un coup de langue et la trouvant plus salée que le nước mắm.

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