#554


je suis, au même titre que l’objet posé là, sur la table. Qu’est-ce que c’est, c’est en verre soufflé de Venise. Avec l’ampoule adéquate, sa lumière est celle de l’aube, l’aube mon amie qui peut s’éteindre à tout moment, un jour comme un autre, juste avant que le jour se lève, plus de mots le matin oui plus rien, l’aube mon double devenue absence, voix disparue, soeur inconnue. Vous savez, de ces pertes qui ravagent, le temps d’une nouvelle annoncée par quelqu’un, une notification sur l’écran, le son émis par la baffle, un tweet : l'aube est morte... et la lecture de l’information trou l’être à jamais…


j’ai mal à la parole, l’ennui est profond, vertigineux, mais je fais avec, je ne me morfonds pas, tout au contraire, je joue à trahir la vie, me sors de son piège en lui mentant. J’ai l’âme vilaine, la langue fourbe, dans ma bouche les mots qui virent au vinaigre à peine entré dans l’oreille, mieux vaut les taire, en chercher d’autre, coudre ses lèvres et plonger, le nez pincé, en apnée, accoudé au comptoir du salon de thé, devenir chercheur d’épaves, avec en tête de vagues coordonnées géographiques, temporelles, sombrer loin, plus loin que le passé, dans un couloir obscur où une fenêtre est ouverte sur l’intérieur...


une vieille cour, un escalier infini qui tourne. Je monte, rejoins les toits, les chats de gouttières. Là j’aperçois un morceau de quelque-chose. Je m’en saisir, je sens sa rouille sous mes doigts. La ville tourne derrière, je bois une gorgée de thé, je redescends l’escalier, m’enfonce dans le couloir et remonte peu à peu à la surface, à l’aveugle dans le noir, le morceau d’épave en main, je ne sais ce que c’est, un bout de quelque-chose en chair et en os, perle dans le seau de coquillages...


je suis la phrase où déterrer, très loin dans la mémoire, le visage vu au coin d’une rue, dans le réel ou ailleurs, ou à l’heure du sommeil, qui sait d’où vient ce visage inconnu que soudain je reconnais, est-ce celui arrivé il y a dix ans ou un type complètement différent ? Décidément, je n'apprendrai rien en me regardant dans la glace. Saigon gronde derrière la devanture du salon de thé, et soudain, dans la porte, face à au visage de l’inconnu que j’incarne, je reviens à moi, avec le sentiment de me réveiller d’un long coma…





Commentaires

Unknown a dit…
Toujours cette même brûlure au cœur à te lire.