#108
Les enfants ont tout d'un coup
arrêté de jouer sur la plage remarquant ce qui ressemble à des
silhouettes humaines recrachées par le courant, à même la bave de
la mer...
Qu'est ce que c'est ?
Regarde !
Des corps ?!
Quoi ?
Des corps !
Des corps de quoi ?
Des corps comme le nôtre...
Tu veux dire des corps
d'hommes ? Des corps de noyés ?
Oui, des noyés ! Des
noyés !
Vas prévenir quelqu'un ! Mais
vas-y bon sang !
Les corps se démultiplient sur
le rivage, dorant désormais au soleil pour mieux y brûler.
Leur peau commencent à fondre,
leurs os à rouiller comme les morceaux d'une épave,
celle d'une centaine d'histoires, d'une centaine de noms confiés à
la mer.
Et les enfants médusés devant la centaine de bouches et yeux ouverts sur le ciel bleu, celui qui d'habitude ravit les vacanciers...
Il a suffi à cette centaine d'embarquer sur ce radeau à insomnies donnant le mal de mer, et puis bien s'accrocher les uns aux autres dans l'urgence malgré l'odeur des peurs pissées, des espoirs déjà verts, des voix sans cri derrière leurs dents serrées, cherchant dans l'enfer venteux et salé à dormir un peu espérant ainsi se réveiller au calme à l'aube sur l'autre rive
si et seulement si le radeau
supporte les coups de fouets du vent, la démente traversée de ses montagnes d'eau noire à perte de
vue, comme si l'exil n'avait plus de destination
si et seulement si le radeau
supporte le poids de cette centaine d'hommes effrayés condamnés à
échouer quelque part
même morts, pas d'autre issue
que d'arriver à bon port, sur un bout de plage comme une autre où
au petit matin vient échouer leur dernière nuit de calvaire,
sous le regard médusé d'une poignée d'enfants curieux qui par hasard jouaient
là, sans se douter une seconde que l'histoire des hommes était
macabre à l'autre bout de la mer...
Alors que la centaine de corps est recouverte d'un drap blanc pour un peu de repos, et de paix,
l'air grave des enfants
désormais sans mot regardant au loin... les drames à
l'horizon
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