#356


Toute contemplation te mène au paysage intérieur qui te hante. La fenêtre est entrouverte. L'air te fait le plus grand mal. Sentiment qu'il cherche à t'aspirer dans le ciel couleur de lave. Le soleil est déjà bas. La journée en a bientôt fini de hurler. Tu redoutes encore plus la nuit qui vient. 

Tu ne trouveras pas le sommeil avant quatre heures du matin. Tu n'essaies même pas de fermer les yeux. Tu préfères attendre que les paupières tombent d'épuisement. Ton insomnie n'est que pur mensonge. Puisque tu ne la subis pas. Tu procrastines volontairement le moment de t'endormir. Fais tout pour rester éveillé. Tu lis, écris. Comme si tu avais peur du temps qui passe sans toi.

C'est peut-être pour ça que ton visage ne vieillit pas. Depuis plus de quinze ans, tu ne vis pas une succession de jours ni d'années. Non : tu vis le même jour depuis des années, tu vis du battement des secondes qui ne cessent de se répéter, le corps et la pensée livrés à une intrigue... inépuisable. 

Et tu es épuisé de vivre ainsi. Espères secrètement que l'enfant te sortira de ce rapport au temps qui ne passe pas. Il n'a même pas encore de sexe, de tête, de corps, il n'est pour l'instant qu'un battement qui se confond avec celui des secondes, battement imperceptible et faible sur lequel tu ne peux t'empêcher de poser tes attentes, tes espoirs, tes craintes, ton désir étouffant... Comment le protéger de toi ? Tu te sens même gêné de devoir choisir son prénom. Qui es-tu, toi, pour prénommer une existence qui par nature n'a pas demandé d'être là ? Qu'es tu donc en train de commettre, fils de p.... papa ?

Regarde, T. dort profondément. Tu écoutes le souffle chaud de son sommeil autrement aujourd'hui. Comme si ce souffle n'était plus uniquement le sien. Tu te sens plus seul que jamais à côté d'elle. À côté d'eux. 4 h 29. À bout de force, les paupières éblouies par l'éclat de l'écran. Dehors le coassement des grenouilles, bruit de fond d'une première nuit de père.

Commentaires

Victoire a dit…
Tu me scotches, père en devenir.