#627
Les heures miroirs #10
Et si je recommençais à écrire. Comment j’ai arrêté ? Me souviens plus du jour. Certitude que ça fait (très) longtemps. Plusieurs années. Il y a bien parfois une bouffée de mots qui perçait, de temps à autre, un éclair de lucidité dans ce monde parodique. Mais aucune écriture sur la durée. Aucune pratique assidue. Des relectures pour se duper, procrastiner, mais ne pas s’être confronté à une voix en devenir depuis une éternité.
L’écriture s’est tuée en quittant ma vie, je pensais ne plus jamais la revoir. Et puis cet après midi, dans le taxi, j’ai senti sa nécessité remonter du ventre, comme un ressentiment, un ressentiment orphelin de toute blessure à venger. La voix commençait à parler en moi, et je ressentais à nouveau, l’urgence de la transcrire en mots.
Mais le ressentiment n’en est plus tout à fait un. Sa brûlure est même plutôt tiède aujourd’hui. Rien ne remue à l’intérieur, plus conscience du vide immense qui m’habite. Tout est vain, écrire et tout le reste…
Et si je recommençais le voyage. Et si je m’asseyais et écrivais. Comme avant. Et si je reprenais possession de mon attention, de mon intériorité. Les réseaux sociaux l’ont gâchée. J’aurai dû mieux protéger mon absence quand j’écrivais, mieux préserver la dimension inconnue de l’adresse, chérir sa distance, son anonymat, son incertitude. Sans le doute de sa présence, comment croire en son existence : adresser est un acte de foi.
Je n’écrivais plus jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est peut-être pas un faux départ, une simple éclaircie, j’ai cette fois le sentiment d’avoir retrouvé le chemin du lieu où tout écrit, en particulier le silence. Sans même savoir comment. Je continuerai à publier en ligne, à vous écrire, j’ai besoin de préserver ce geste, de l’adresser quelque part, à la mer, à l’horizon, contre une vitre, un mur, contre un regard dans le vide… ce geste demeurera.
En revenant ici, à ce comptoir où pendant trois années, j’ai tenu un journal aussi vain que nécéssaire, je pensais être accueilli, reconnu. Ce sont pourtant bien les mêmes serveurs, ce sont bien ces visages que je croisais tous les jours, avec qui il m’est même arrivé d’avoir quelques discussions. Mais personne ne semble me reconnaître. Je me demande tout de même, s’il s’agit bien du même lieu. Ça ne peut qu’être qu’eux. D’ailleurs, contrairement à moi, eux se souvenaient de mon prénom, mais est-ce seulement de moi dont ils parlaient. Avec le masque ils auraient pu se tromper, me prendre pour un autre. De plus, ignorant mon prénom moi-même, comment ne pas douter ?
À croire que chaque texte remet en cause toute identité. Du trouble né le visage de celui qui parle. Nous n’avons qu’un seul portrait : celui d’une photo tremblée. Aucun trait n’est certain, seul le mouvement nous prouve qu’il y a bien quelqu’un. Il parle, certain que vous êtes à son écoute, à son service, retranscrivant sa voix mot à mot, pendant des années de nuits entières.Il n’y a parfois pas assez de mots. La langue est par fois à court de mots pour exprimer la nature d’un dans un silence. Le vide est immense.
Mais je préfère le vide à « mes » terres, celles où je m’apprête à revenir, après huit ans d’absence. Mon français en France se sent-il toujours autant à l’étranger ? Le lieux m’attendent-ils ? Les chambres ont-elle encore l’odeur des draps froids et parfumés ? Les pierres logent-elles des morts ? Les papillons prennent ils encore les braises pour des fleurs de cheminée ? L’absence du frêne abattu ne troue-t-elle pas l’horizon ? Au bout de l’escalier, sur quels portraits s’ouvre la porte ? Le pupitre attend-il toujours mon enfance dans le grenier ? La lumière, est-elle aussi blanche aujourd’hui ? Reste-t-il de l’eau au fond du puits, des lièvres morts dans le champ ? Mon ami borgne a-t-il l’esprit toujours aussi vivant ? Et toi ? Où es-tu passée alors que je te sais revenue, Je viens de passer une soirée pour fêter mon anniversaire en avance. Nous étions deux. Au bar, j'ai reconnu la serveuse avec laquelle on discutait souvent. Elle ne se souvenait de rien, ni de toi, ni de mon visage. Moi je me souvenais parfaitement d'elle. Et je te voyais chaque fois que je la regardais. À l'endroit même où notre rencontre me manque, je dois désormais lutter pour prouver qu'elle ait un jour existé.
N’est-ce pas une grande rétention de silence un sac de choses au fond qui soudain explose et fait jaillir une identité. Une identité se dévoile. Une identité est toujours à venir en construction un portrait qui mot après mot, parole après parole, se dessine à votre oreille, sous vos yeux seuls et affamés de présence.
Elle a donc peur de rentrer peur de croiser des visages familiers qui ne sont plus grand-chose aujourd’hui en même temps qui sait peut-être en revoir quelques-uns ou bien en rester là c’est toujours une question quand dans la solitude devant les phrases dans le tunnel on manque d’air on a besoin d’une oreille où laisser la voix sortir du terrier…
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