#502



"Je" est ici pronom impersonnel mais pas sans personnalité. Il est doté d'intimité, oui l'intimité anonyme d'une silhouette penchée sur son écran, travaillant l'écriture en silence, sans fierté ni humilité.

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Je me souviens de l'écriture manuscrite, je me souviens de la sensation au moment même ou je vous écris ces phrases. Je me souviens de la mine du crayon adhérant au papier, jusqu'à parfois trouer la feuille, ce mouvement compulsif, sauvage, écriture à grande vitesse qu'on croirait automatique, les lettres apparaissent sur la feuille avant même d'être tracées. Rien de surréaliste pourtant, il me semble que les mots écrits, même à grande vitesse, s'échappent d'une voix enfermée dedans, à l'intérieur, qui se retient de parler en société, et qui après des jours sevrée de parole,  crache en un jet son cri sur la feuille. Le mouvement de l'élastique tendue qui soudain, se relâche. Un vrai soulagement. Pour quelques heures, prendre une bouffée d'aveux à formuler, pour ne pas mourir asphyxié de secrets, de mensonges, de fictions à écrire.

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L'écriture me devance tout le temps, elle m'oblige à interrompre ma marche, à prendre des notes sur mon portable debout dans ma rue, au milieu du fracas, dans la case nouveau message, comme si j'allais envoyer ça à quelqu'un...

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Parfois je fais des fautes en tapant, lapsus de tapoteur de clavier tactile bousillé. Ce genre de fautes, vous ne les voyez pas à l'écran, ces fautes là à corriger tout le temps, non parce-que que je suis mauvais en orthographe, ou en grammaire, mais parce-ce que la voix de l'écriture est souvent à l'étroit dans l'espace de ces lois. Ma voix écrite serait probablement plus juste parfois, en amputant des mots de leur sens, ne garder que la musique et le rythme des syllabes et des virgules qui s'enchaînent. Mais les mots condamnent au sens, sens que seule l'écriture comprend. 


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Laissez-les mots penser. Ne pas tenter de les séduire. mais s'en méfier.

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Le monde éblouit. Je le regarde souvent derrière des lunettes de soleil, elles masquent le regard d'ombre pour se sentir dans le monde un peu chez soi... le voile d'une fiction possible, une lumière terne et neutre sur l'éclat du réel.

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Je suis ici sans histoire, je suis du temps passé à faire. Souvent dans la ville, aux heures creuses, silhouette penchée sur un écran, j'écris des après midi entières. Je ne tue pas le temps. Je m'en saisis. Je suis au présent, pas de l'indicatif mais de l'écriture, le présent de l'écriture est un temps difficile à conjuguer. Les yeux me servent peu. Je ne regarde plus que mes doigts qui défilent sous les yeux en tapant sur le clavier azerty, à cette vitesse je ne choisis rien, je suis... un silence peut être vécu à grande vitesse à l'intérieur... c'est quand même épuisant d'écrire ainsi et ça ne mène nulle part. Nulle part ? ça tombe bien, c'est justement là où je désirais me rendre.


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je lutte pour suivre vous savez, je suis lent physiquement mais je sprinte des heures durant à l'intérieur. Une sorte d'auto hypnose qui fait du sujet soudain une chose à rêver... car je ne rêve plus assez... j'en suis très attristé, je ne dors pas assez, l'écriture m'empêche de dormir.

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Une porte vient de grincer sur une fille qui vient de sortir, relent de parfum et de sueur, ça remonte dans les narines, l'odeur est aigre et aigue. Picotement dans le nez. Elle sent l'amour dans des draps mal séchés.

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Je viens, en cet instant même, de débusquer l'imposture que je suis, la dualité si lâche, si vaine, la vérité devenue une fiction qui justifie ma raison de mentir, tout le temps, non pour échapper au monde, mais pour fuir sa présence en lui, devenir le monde quitte à n'y avoir aucun nom, être un poisson allergique à l'eau, un poisson passionné par son addiction, l'âme pleine de contradictions, il faut passer aux aveux comme on passe à tabac le temps. Et démasquer la vérité de l'autre qu'on découvre un jour en soi.

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Les étudiants me regardent l'air perdu :
— voici un exemple de question avec "qu'est ce que" :
 qu'est-ce que que vous aimez faire dans la vie ?

un doigt timidement se lève et répond :
— j'aime marcher... et m'arrêter.

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La ville est fragmentée d'hommes en elle.


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j'aime marcher oui. C'est saisissant quand on marche dans la ville silencieux, le regard souvent sur les chaussures, qui parfois se lève pour une photo, c'est saisissant comme on apprend de la ville en l'écoutant, en respirant son bruit, son mouvement, le quartier est aussi singulier que quelqu'un.... ce n'est pas une frontière mais juste une façon d'habiter cette rue... chaque district est distinct. Je ne veux pas composer mon livre géographiquement, je veux que le mouvement de ce livre s'apparente à la démarche d'un homme dans la ville...


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avancer ici, dans le mal nommé journal, où j'entends le chantier d'un poème en sourdine. 


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le blog est un livre infini de chemins pris par la solitude qui écrit tous les jours.

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si évènement il y a, c'est un chat qui passe, rien de plus. 


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La ville est un personnage enfermé en moi.


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La ville passe par ma main pour écrire un livre, dans le courant d'air d'une table de café. Ce journal n'est pas le mien mais celui de la ville elle-même. Il lui fallait une main d'homme pour assouvir son désir d'écrire, elle a pris la mienne. Elle ne m'a pas demandé. Elle a pris ma main de force. Mariage forcé. Que je sois de langue étrangère à elle n'a pas découragé la ville, qu'importe la langue, l'important pour elle est d'être en quelqu'un qui écrit régulièrement. Elle a de la chance d'être tombée sur moi qui prends le temps de la regarder vivre.


dans chaque trou de ville retrouver le hasard d'un bout de soi.

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à force de travail et de lecture deviner son lieu dans la langue. Je commence tout juste à trouver quelque-chose...

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je tiens à l'écriture... à personne d'autre.

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la serveuse tatouée en robe à fleurs rouges se maquille, j'ai peur qu'elle me surprenne, dans le reflet de son oeil, la contempler se lécher du pinceau les sourcils.

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