#487


Peu dormi. Réveillé à 4 h par Isabelle. Mon nez coule. Sors 500 mg d'aspirine de la boite à chaussures. Les paupières lourdes je regarde se dissoudre le cacheton dans l'eau. C'est la seule neige que je goûterai cet hiver. Ni montagne, ni coke de prévu. À la fenêtre la nuit est encore la nuit. L'horizon noir profond. La constellation des lampadaires toujours aussi énigmatique. Me rendors une demie-heure après avoir hésité à rester éveillé. Bois un thé vert menthe de supermarché. De plus en plus de mal à avaler ces saveurs truquées. Pars en avance dans la ville encore fraîche. Toutes les rues bouchées comme mon nez. Je suis un casque parmi des millions. Je traverse la ville sans la regarder.


La réceptionniste de l'école me souhaite une bonne année. Sa politesse adoucit mon humeur de merde. Les élèves rament entre imparfait et passé composé.  J'échoue à leur faire comprendre ce qui m'est naturel. Signe d'un mauvais prof. Une fois la classe terminée m'en vais boire un thé. Un vrai. Signature no 1. Oolong liquoreux. Regrette un peu mon choix. Le thé vert me manque. Pourquoi je l'évite depuis quelques semaines ? Pour retarder le plaisir de le retrouver. Le serveur au polo vert semble encore plus fatigué que moi. Nos fatigues sont quelques peu différentes : la mienne est dû au sommeil assassiné par les pleurs de ma fille, la sienne est entretenue par l'ennui des jours qui tournent en rond comme la musique de fond du salon, toujours la même... il s'endort un peu, puis relève la tête et regarde la ville défiler sous l'éclaircie. Ses yeux retombent aussitôt. Il dégage une douceur trop rare en ce monde.


Où vais-je manger aujourd'hui ? Toujours la même question. Entre L'envie de changer et la flemme de chercher autre part. Quelque chose de rapide, de pas cher. Avec une table où poser l'iPad, histoire de déjeuner avec l'écriture. Me souviens qu'hier soir, je m'étais promis de rentrer dans l'église. M'y asseoir, écrire au coeur des prières murmurées, jauger la fraicheur et le calme d'un lieu devant lequel je passe tous les jours sans jamais m'y arrêter.
Certitude de me duper à écrire le quotidien ainsi. Ce qui se passe dans le journal n'a aucun interêt. Ce qui me tient, c'est le mouvement de la pensée, son aspect désorganisé, sa structure hésitante et chaotique. finir le thé. J'ai du mal avec ce thé là aujourd'hui. Le goût liquoreux me donne la nausée. L'impression de boire un grog. Et dire qu'il y a quelque jours je disais au serveur au polo vert que c'était mon thé préféré. Selon les jours, mon appréciation change. Un peu comme mon regard sur les gens et la ville. Mon regard sur moi est en revanche toujours le même. Désabusé.


Je suis à la fenêtre d'un bus qui ne s'arrête plus. La destination connue de tous. Ça fonce avec moi dedans. Aucun moyen de sauter en marche. Au même âge, je souhaite à ma fille de n'être pas là où j'en suis. Certain qu'il y a d'autres façons plus agréable d'habiter sa vie. J'ai fait le tour de l'église avant d'aller manger. J'y rentrerai plus tard. Des jeunes mariés en pleine séance photo prenaient la pose du bonheur sous une pancarte "interdit de pisser contre le mur". Les photos seront dans leur chambre, au dessus du lit conjugal. Dans le salon. À l'entrée. Les murs témoigneront à jamais de leur union, de la beauté photoshopée des premiers jours. Sur le chemin du restaurant, j'ai croisé des postures assises sur un banc, deux jeunes nước ngoài à dread locks, des arbres à l'écorce immatriculée... pas grand chose d'autre. Pourquoi ce resto là ? Aucune idée. Blindée de touristes et d'expat, un lieu top choice tripadvisor. Où la bouffe est insipide. Et finalement assez chère. Les gens s'y sentent bien ici. Il y a des couleurs vivent. Ça fait "Vietnam" avec la fresque propagande au mur. Les jackson five en fond. Menu proche de ce qu'on trouve dans les resto Viêt à l'étranger. Tous semblent heureux qu'un lieu répondent à leurs attentes à la nouille près. Qu'est ce que je fous là ? Il y a les arbres derrière la vitre. C'est pas loin de l'église. Et puis ça change.


L'entrée arrive. Et comprends avant même de goûter que ça n'aura absolument aucun goût. manque d'herbes, de texture. Ça ne remue rien sur la langue. Aussitôt avalé on me débarrasse. On me veut parti au plus vite.


Place au main course. On reste sur la même tonalité : néant sur palais. Même les feuilles de bétel, d'habitude si goûteuse, ils sont arrivés à les castrer de leur pouvoir aromatique. Le bol plein de bún et de salade donne l'illusion que c'est copieux. Les carottes marinées sont certes humides mais sans aucune acidité. Même le nước mắm manque de punch. Pense à T. qui rêverait d'avoir à disposition un lieu aussi bien situé. J'aimerais mettre le chef et tout le staff de ce resto à la con devant un bol made in T. Même moi serais capable de proposer un bol moins triste en bouche. Plus je mâche, plus j'ai le sentiment d'avoir perdu le sens du goût. Tout aliment mis en bouche est comme éteint dans une sorte de neutralité tuant toute vie en moi. Ça doit être propre, certes. Les cuisines sont propres dans ces lieux là. Il y a le wifi. C'est climatisé. Mais ça ne suffit pas. Presque fini et encore faim. Je savais à quoi je m'attendais mais suis déçu ne n'avoir pas su choisir ailleurs. Parfois je fais des choix imposés par des contradictions intérieures, des fatigues qui me mènent au coeur de ce que je maudis. Enfin, pas de quoi s'énerver. Même si ça me coûte une heure de cours. Je ne reviendrai plus. Je m'étais déjà dit ça la première fois. Alors avoue ! Pourquoi tu es encore revenu ? Il y a bien une raison ! Et ce n'est pas la bouffe ! Je cherche... mais ne trouve sincèrement aucune excuse. Voilà où j'en suis. Je dérive et échoue dans des lieux que je n'aime pas. Et pourtant c'est dans ces lieux là que ça écrit le plus. Oui, voilà pourquoi je suis venu. Pour que rien ne me détourne de l'écriture. Si j'étais devant de la bonne bouffe, le plaisir de manger aurait interrompu le flux de l'écriture. J'écris mieux dans un environnement hostile. D'où le désir d'aller à l'église. The bill please ! L'opération manager débarrasse. How was your lunch sir ? .... (no answer)

Près de 4 heures que j'écris. Et pas un seul mot ne signifie. Je devrais m'abstenir. Mais ce billet sera au moins la preuve que j'ai vécu ce jour là. Ce n'est pas la succession des billets sur le blog mais les jours qui fabriquent de l'oubli. Une fois écrits, peu importe sur quel support, les mots, aussi futiles soient-ils, donnent au temps une raison d'être passé. Bon, j'y vais rendre visite au crucifié ou pas ? L'addition apparait sur la table. 30 000 de taxes et service charged ajoutés à la note. Amertume. Peur de l'argent qui chaque jour me vide les poches. Plus Le chiffre des billets blogs augmente, plus celui du compte en banque diminue. Sur le chemin, je m'arrête deux minutes sur un banc le temps d'une cigarette. Trois visions : un type qui pisse contre un arbre, un arbre qui pisse contre la ville, et une nước ngoài assise seule, avec un livre ouvert, le regard vide fixant deux jardiniers.


L'église de briques toulousaines ne m'évoque rien de Toulouse. Tant mieux. Soulagé d'être un homme sans passé. À l'entrée les touristes multipliant les clichés. Impossible de s'asseoir. Le passage vers les prie-dieu est bloqué. "Keep silent" dit la pancarte. Pas d'inquiétude. J'ai su le rester toute ma vie. Ici un cierge et quelques vitraux. Les carreaux par terre. je tourne le dos à l'intérieur pour regarder dehors. Cette année encore, Jésus est né. À l'ombre de la ville. Juste en face d'Hsbc.


Je prends en photo Marie de dos. Ne me retournerai pas sur son visage. trop peur d'abîmer le souvenir que j'ai d'elle. Trois oiseaux à ses pieds me surprennent. Près 15 heures : je reviens déjà sur mes pas. Je n'ai plus de mots, tous soudain emportés par le vent brassé d'une journée en ville.




Commentaires

Claude Enuset a dit…
Ecrire pour combattre (ou accepter) le regard désabusé qu'on pose sur soi, cruellement.