#435
De jour comme de nuit, le ramasseur de manuscrits fait des rondes dans la ville.
Remonte le chant de sa voix aux fenêtres ouvertes. On ne sait jamais d'où on l'entend. À la fois proche et lointaine, sa voix semble venir de toutes les rues en même temps :
manuscrit manuscrit manuscrit
manuscrit manuscrit manuscrit
manuscrit manuscrit
alors on lui crie après lève la main avant de descendre des kilos de papier sous le bras. S'il n'existait pas, on ignorerait que la ville abrite autant de solitudes qui écrivent dans le secret de leur chambre. Les sacs qu'il peine à charger sur sa mobylette sont immenses, pleins à craquer de romans abandonnés, vers inachevés, notes éparses, lettres jamais envoyées...
Le ramasseur de manuscrits ne refuse jamais rien.
On ne sait pas ce qu'il en fait, parfois au loin, quand on voit un feu s'allumer de nulle part, on se dit qu'il les brûle. Et dans la fumée, il nous semble reconnaître l'odeur d'oubli des mots jamais relus.
Personne ne connait l'identité du ramasseur de manuscrits. La rumeur dit qu'il est muet, qu'il ne sait ni lire ni écrire, analphabète qui récolte les mots des autres, pour rien, parce-qu'il est fou.
Moi je pense qu'il les conserve quelque-part. Chez lui sont les archives de nos paroles froissées.
Aujourd'hui je l'ai croisé par hasard, au détour d'une rue. J'ai eu l'idée d'interrompre un instant son labeur, pour lui témoigner ma reconnaissance. Je n'ai pas osé.
Puis nos chemins se sont séparés.
Je l'ai regardé disparaître au loin, dans la foule anonyme de la ville qui écrit.
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