#430
sur le banc d'un couloir lugubre aux murs vertigineux. Je filme. Ma camera est une toute petite carte, de la taille d'une carte sim. Face à moi le chagrin d'un enfant. Il réclame le téléphone, veut à tout prix joindre son père. Sa mère lui répond en espagnol d'une voix calme mais ferme. Discrètement je braque la caméra sur eux avec au ventre la peur qu'ils me surprennent. L'idée que les personnages de mon film parlent espagnol à Saigon me séduit. Personne ne pourra déterminer avec certitude où nous sommes. J'essaie à mon tour de parler espagnol à la caméra. Je dis — Ola, Que tal ? ne sachant rien dire d'autre. Puis j'invente, me sens ridicule, pense celui qui regardera cette vidéo va se moquer... Je change de langue, décide de parler vietnamien... mais réalise en parlant que je ne sais plus le parler. Ce n'est pas fluide, je marmonne des phrases sans aucun sens dans le vide comme on prend son téléphone pour feindre un appel et ne pas être dérangé dans la rue. Une femme en uniforme vert vient me chercher. Elle m'ordonne de la suivre. Tout en traversant les couloirs sombres de l'immeuble, je m'obstine à parler tout haut en yaourt viet. Nous rejoignons une grande table basse où des jeunes dans le même uniforme fêtent quelque-chose. L'un d'entre eux me demande d'où je viens. La langue me revient. — De France... — De France ? C'est romantique la France ! Tous rient bêtement. Ils sont ivres.La femme dit — il est vietnamien aussi. Les rires cessent aussitôt. Silence. Ils attendent que je m'explique. — Ma mère est française espagnole, mon père viet et chinois.... — Ah bon, viet ? dit l'un d'entre eux sur un ton désagréable. Ça vire à l'interrogatoire. — et ton père faisait quoi quand il vivait au Vietnam ? Il l'a quitté à 16 ans. Il n'était qu'un lycéen... — Et tes grands-parents ? Pourquoi ils sont partis ? Hein ? Ils nous fuyaient, ils fuyaient les communistes n'est-ce pas ? je réponds la tête baissée — Oui... Mes grands parents travaillaient avec les français... — Des collabos ! Ça tourne mal. Je cherche une issue de secours pour me sortir de cette discussion — mais mon père est communiste en France... soudain j'aperçois derrière mon oncle Tiên. Je me précipite vers lui — Tiên !!! Qu'est-ce que tu fais là ? Comment es-tu venu jusque-ici ? Il me répond à la fois souriant et l'air ailleurs, préoccupé par quelque-chose que lui-même semble ignorer : — en voiture... 450 heures de voiture... La télé locale nous interviewe, je chuchote à l'oreille de mon oncle avant que nous soyons à l'antenne — j'ai merdé, il savent que papy et mamy n'étaient pas communistes. Surtout, dis-leur que nous le sommes...
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