#162
Seul monsieur M. est
mentionné sur la couverture. Impossible de savoir s'il s'agit là du
titre du livre ou du nom de son auteur. D'ailleurs je dis livre,
mais sa forme s'apparente plutôt à un carnet. De plus, monsieur
M. n'est pas dactylographié mais manuscrit. Et le plus troublant
est que cette écriture m'est étrangement familière.
Je suis ainsi resté des heures
devant le carnet fermé, dans la crainte d'y lire des mots
compromettants à mon sujet. Après une longue et lourde hésitation,
j'ai fini par l'ouvrir...
À mon grand étonnement, toutes
ses pages sont vierges. Elles sont en revanche numérotées. Peut-être
pour battre la mesure d'un travail vain le temps d'un silence à
l'oubli des heures, des jours, des années à soupirer dans l'attente
d'une écriture jamais venue ?
Page après page, sous l'absence
de phrase, de mot, je cherche l'empreinte de la main qui a échoué à
écrire ce livre. L'auteur aurait-il laissé une trace d'homme
quelque part, peut-être même la tache d'une larme, d'une goutte de
sueur tombée à son insu pour mieux le trahir ? Mais je ne trouve rien, rien que
le blanc laissé au parloir de la langue.
Devant cette énigme, je décide de poser les mains sur le livre ouvert tout en fermant les yeux, tentant ainsi au toucher de sentir sur le papier la marque des possibles phrases effacées, de deviner dans l'air le poids de celles jamais écrites... Et je ne sais si ce sont mes mains ou mes oreilles qui tout à coup entendent le semblant d'une voix étouffée au loin. Je ne sais pas encore ce qu'elle dit, de quoi elle parle, et peut-être ne parle-t-elle de rien, mais je devine déjà à son intonation qu'elle pose là une question, question venue comme de nulle part et qui semble ne s'adresser à personne, comme si le carnet n'avait jamais attendu de lecteur, qu'il était fait pour écrire, seulement pour écrire... et que tout mot avait échoué à cette tâche.
Devant cette énigme, je décide de poser les mains sur le livre ouvert tout en fermant les yeux, tentant ainsi au toucher de sentir sur le papier la marque des possibles phrases effacées, de deviner dans l'air le poids de celles jamais écrites... Et je ne sais si ce sont mes mains ou mes oreilles qui tout à coup entendent le semblant d'une voix étouffée au loin. Je ne sais pas encore ce qu'elle dit, de quoi elle parle, et peut-être ne parle-t-elle de rien, mais je devine déjà à son intonation qu'elle pose là une question, question venue comme de nulle part et qui semble ne s'adresser à personne, comme si le carnet n'avait jamais attendu de lecteur, qu'il était fait pour écrire, seulement pour écrire... et que tout mot avait échoué à cette tâche.
La voix se fait de moins en
moins sourde, se dégageant peu à peu des décombres, et à mesure qu'elle
se rapproche, j'ai l'impression de disparaître derrière l'ombre d'une écriture qui n'a pas eu lieu.
A cet instant, le petit homme en kesa noir passant devant ma cellule s'arrête au pas de ma porte
et me dit :
«— Vous avez fini par trouver
votre livre...
— Mon livre?
— Le vôtre oui. À qui
d'autre voulez-vous qu'il appartienne ?
— Je ne sais pas.. À d'autres
lecteurs peut-être ?
— Vous êtes seul ici, c'est
donc vous et personne d'autre que ce livre attendait.
— Mais ce livre est vide...
— Vide de mots certes. Mais je
crois savoir que les pages sont numérotées. Malgré son vide
apparent, ce livre a déjà un début et une fin. Il renferme une
histoire qui vous préexiste... D'ailleurs, lorsque vous laissez le livre ouvert,
comme ça, devant vous, n'entendez-vous pas le balbutiement de sa
voix au loin ?
— En effet... Mais d'où peut bien venir cette voix ? Monsieur M. est mort ! Je l'ai même enterré de mes propres mains. Serais-je devenu fou ?
— Vous n'êtes pas fou. Vous commencez malgré vous à avoir la foi. Et cette voix que vous entendez est celle de l'homme
enterré vivant sous votre parole qui rejaillit à la seconde même
où vous cessez de parler... Alors taisez-vous. Et écrivez.»
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