#139
Où est monsieur M. quand il s'absente quelques jours ?
Personne ne le sait. Pas même moi...
Je l'imagine seul, loin des autres, loin des foules sauvages de
voix et de gestes, parti marcher, il va et vient dans son monde comme
une bête dans sa cage, sans aucune page d'histoire en tête, sans
but si ce n'est celui de compter ses pas, errance à la dérive
suivant des yeux le courant d'une rivière menant aux berges d'un
fleuve menant au sable désert de l'océan à traverser à marée
basse avant que ne soit recouvert le passage du Gois...
(Je ne sais comment sa pensée désertée a ce soir échoué là...)
Je l'imagine ensuite s'asseoir sur un banc de bois attendant
patiemment que la remontée de l'eau efface toute trace de ses pas.
Je l'imagine rester là à ne rien faire, malgré les signes agités
d'une main au loin, ses appels au secours, la détresse d'une ombre
hurlant qu'elle ne sait pas nager, silhouette humaine surprise par la
marée elle qui à l'oubli des heures était venue pêcher la palourde à pied histoire de ne penser à rien...
J'imagine son regard impassible à la vue de ces cris disparus
dans les fonds marins...
Une fois l'ombre engloutie, monsieur M. est resté assis là
toute la nuit à tenter de traduire l'écriture des vagues, ces lignes blanches de bave au cœur du noir le plus silencieux, sans
égard aucun pour la parole de l'homme venant de mourir sous ses yeux.
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