#120



Au fait, qui êtes vous monsieur M.? Comment êtes-vous né dans mes nuits?

J'ai en premier lieu mis le masque de votre personnage pour proposer à un ami perdu de vue depuis bien longtemps une correspondance d'écriture. Je pensais naïvement que ne garder que l'initiale de mon prénom me rendrait l'anonymat nécessaire pour prendre de la distance et écrire sans crainte. Mais mon correspondant a très mal pris mon premier courrier, ne comprenant pas comment je pouvais m'autoriser à prendre la vie, la mienne, la sienne, celle des autres, pour de la matière littéraire.

Ce qui était pour moi un geste d'amitié par l'écriture fut entendu et ressenti par cet ami comme une trahison... et une insulte.

Suite à sa réaction plus que violente à mon égard, je me suis d'abord excusé, puis je me suis tu et isolé de longs mois pour penser ce qui s'était passé là. Moi qui si souvent le clamais, je me suis demandé, seul, non sans gravité, s'il m'était vrai que la seule vérité était celle du texte...

Aujourd'hui, je crois que la seule vérité est l'instant même de l'acte d'écrire... et, rajoute l'apatride, si vérité il y a, c'est une vérité de la jouissance et non une jouissance de la vérité, jouissance de la vérité avec son cortège du droit moral comme semblerait soutenir cet ami à qui j'avais proposé cette expérience d'écriture.

Mais au fond, il ne s'agit peut-être même pas de vérité. Simplement d'une nécessité. Nécessité qu'il serait absurde et obscène de tenter d'élucider dans un lieu public comme celui-ci...

Après cet événement  j'ai compris que l'autre, l'autre connu (ici l'ami), quel qu'il soit, ne pouvait être pris pour objet dans cet entretien infini qu'est la pratique de l'écriture et de la lecture. 

J'ai par le passé souvent cherché, voir imposé à l'autre un entretien qui était le mien, celui avec l'absent des mots de la parole, celui du livre aussi... Et si j'ai tant de fois cherché à mettre un visage d'ami sur cet absent, c'est certainement par lâcheté, lâcheté d'affronter la solitude fondamentale de cette tâche.

Monsieur M., vous êtes donc devenu l'adresse, le lieu, l'interlocuteur silencieux de cet entretien.
Vous êtes aussi l'absence d'ami...et le personnage insaisissable et inconnu que je suis.






Commentaires

Absence ou jouissance... l'ami M. serait-il maudit ?