#22



L'anonymat qu'il garde précieusement ne l'a pas mis à l'abri d'une demande, aussi absurde soit elle, la demande d'un inconnu, une initiale, monsieur M., écrit en blanc sur l'étiquette d'une boite aux lettres vide à craquer...

Qui suis-je pour lui ? Une présence prétendant ne pas être le néant ? Un lecteur de passage ? Une personne cernée en à peine deux courriers ? Un étranger trop curieux ? Une personne de plus à supporter?
 
L'inconnu semble peser ses mots à la lettre près. Je lis sa voix grise derrière ses fantômes, ses prénoms devenus des lettres dans un journal d'insomnies intimes, de traces à effacer, avant de fuir, de partir en voyage, ne rien garder, pas une phrase, pas une feuille de papier, jeter, vendre, raturer, brûler, quitter, ne rien laisser derrière pour un jour peut-être revenir seul et apatride dans son propre pays. 
 
Je lui écris : je suis venu ici pour habiter une langue étrangère, afin de prendre une distance avec ma langue maternelle...  

Correspondre avec un inconnu ne relève d'aucun risque, c'est même d'une lâcheté obscène... 
mais c'est aussi une façon comme une autre d'écrire, de duper le néant à qui j'adresse la parole, la parole d'un autre tunnel...
Je n'attends pas que l'inconnu m'accorde un temps que je ne mérite pas. Il n'a d'ailleurs aucun compte à me rendre. Nous ne sommes personne. 
 
Si un jour, un beau jour, il m'écrit à nouveau, qu'il sache ici que je prendrais notre correspondance au sérieux. 
 
J'écris : rendez-vous avec monsieur M.



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