#218


J'ai l'haleine d'un silence qui a fermenté dans ma bouche toute la nuit. Derrière mes lèvres closes comme un tombeau, ma parole repose en paix. Son odeur de pourriture sèche est celle de tous les mots morts sur le bout de ma langue. Depuis combien de jours n'ai-je pas dit un mot ? J'ai bien balbutié quelques chiffres, essentiellement des prix, pour payer un taxi, acheter une mangue, j'ai sans nul doute prononcé trois ou quatre cám ơn, car malgré ma mauvaise humeur d'insomniaque, je reste un individu bien élevé. Mais mis à part de pauvres banalités, je n'ai eu aucune discussion avec qui que ce soit. Depuis que je suis rentré, mes échanges avec un autre être humain sont limités à deux phrases brèves... 

Parler, j'ai oublié à quoi ça servait.


Je m'assois sur le lit défait. Il sent le foutre et la sueur des rêves précédents, ceux dont je ne me souviens plus malgré l'effroi qui règne en moi après chaque réveil. Je ne regarde plus les heures. Elles ne servent qu'à me faire perdre mon temps. Depuis hier ma montre flotte dans les chiottes. Elle n'a pas réussi à passer dans les tuyaux auxquels je la destinais. Le cadran s'est fissuré dans la cuvette. La pisse et l'eau ont arrêté les aiguilles dont j'étais l'esclave. Je ne me sens pas plus libre pour autant. 


À ma fenêtre il pleut des cordes à pendre n'importe quel souvenir. Je guette la foudre qui soudain tombe sous mes yeux, me renvoyant à ma condition de personnage. Sa couleur est celle d'une fiction, cette fiction que j'ai voulu quitter en partant à la recherche de mon nom et que je retrouve, une centaine de pages plus loin, dans une ville dont l'identité est trouble derrière la vitre inondée. Et moi, de mon refuge, je regarde cette cité incertaine disparaître sous le déluge avec le sentiment de l'avoir moi-même inventée. 


Serais-je aussi l'auteur de l'orage en train de gronder ?




Commentaires

Trsè belles photos (celle de la foudre, évidemment entre autres) et texte plongeant.