#642
25 juillet
S’agit-il encore de présence ? Non pas de l’être-là, du corps à portée de main, de la voix à portée d’oreille. Mais de cette autre forme : la présence de l’absence.
Il y a des êtres dont on ne sait rien, mais que l’on reconnaît. Non pas parce qu’on les connaît, mais parce qu’on les sait. Comme si quelque chose en eux nous avait déjà traversé. L’amitié, peut-être, commence là. Non dans le souvenir partagé, mais dans une forme de proximité étrangère. Un savoir sans connaissance. Une certitude sans histoire. On pourrait croire que connaître, c’est accumuler. Une biographie. Une enfance. Des souvenirs. Des préférences. Mais non. Ce n’est pas cela qui fait lien.
Avec Gwen, au départ, rien d’autre qu’un geste, le sien, dans l’écriture. Et ce geste, je l’ai reconnu comme s’il avait été mien.
Depuis, tout s’est construit à distance. Dans le retrait. Dans l’absence partagée. Mais une absence habitée.
Treize ans à s’écrire sans se voir. À se répondre sans se dire.
Ce qui lie, parfois, échappe à tout repère. Une façon de marcher. Une manière de tenir le silence. Une posture dans l’image. Un écho mis en mots.
Et puis, un jour (aujourd’hui), une maison. L’été. Bordeaux. Sa voix. Son visage La rencontre n’annule pas le lien d’avant. Elle l’ancre. Le confirme. Mais sans éclat. Avec la même discrétion que celle qui l’avait vu naître.
Nous ne sommes pas des camarades. Pas des compagnons de route. Il ne s’agit pas d’amitié sociale. Mais d’un accord plus secret. Quelque chose dans la sensibilité. Une façon commune de se tenir dans le monde, sans y prendre place vraiment,
Son geste m’a accompagné. Non pas lui, mais ce qu’il faisait. Il écrivait. Et ce qu’il écrivait, me sauvait.Dans l’absence des autres, il y avait cette présence. Cette voix écrite. Cette écriture filmée. Ce qu’elle touchait en moi.
Gwen passait toujours par la fiction. Même les douleurs les plus intimes, même les failles, les tremblements, il les disait par des récits. Des figures, des personnages, des voix qui n’étaient pas tout à fait lui, mais par lesquelles il passait pour accéder à moi.
Et moi aussi, je n’ai jamais quitté la fiction. C’est peut-être cela, notre lien : ne pas dire directement. Mais laisser venir une forme. Laisser parler autre chose. Un récit. Une scène. Quelque chose d’inventé. Quelque chose qui s’invente, qui, pourtant, dit plus vrai que la confession.
La fiction, pour nous, n’est pas un masque. Elle est un abri. Une manière d’approcher ce qui, autrement, serait trop brûlant, et donc, imprécis mis en mots.
Puis il s’est tu. Il a cessé de publier. Et ce silence, pour moi, a eu du poids. Non pas une blessure. Mais un retrait sensible. Nous ne sommes pas des amis au sens courant. Nous sommes frères dans l’écriture. Frères dans la manière de percevoir. De marcher dans le monde. De douter. De créer. Et à ce titre, Gwen porte une responsabilité. Pas morale. Mais sensible. Créative. Parce que moi, j’ai besoin de ce qu’il écrit. Et quand il se tait, quelque chose en moi se tait aussi.
L’amitié, peut-être, c’est cela. Non pas l’assurance d’un soutien. Mais la présence continue d’un geste qui vous traverse. Une fidélité qui passe par l’écriture, l’art. Par le soin qu’on prend à faire sentir. Par l’attention qu’on porte, sans le dire, sans le savoir, à ce que l’autre devient.
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