#180
Alors que chacun de ses
personnages disparaissait sous ses yeux d'une mort toujours plus
énigmatique, que les lieux d'écriture furent saccagés voire
oubliés aussitôt traversés, alors qu'à mesure qu'il avançait sur
le chemin de sa rage de taire il comprit qu'il n'échapperait pas à
l'homme qu'il était, monsieur M. décida, d'un coup de sang gorgé de pensées, de détruire l'espace et le temps écrits de ses propres
mains. En effet, il avait soudain ce curieux désir d'errer dans un
désert sans voix ni vie à l'horizon, un désert sans horizon, sans
ciel ni terre, juste un carnet ouvert comme des veines sur des pages
encore vierges qui patiemment attendent les balafres d'un trait pour
enfin avouer...
Monsieur M. regarda son
livre une dernière fois, il relut la première page, celle où sa
tragédie commença, une nuit comme une autre, chargée de l'ennui
d'un homme qui n'en pouvait plus de ne plus rêver, et qui s'est mis
à écrire, à faire croire qu'il rêvait ce qu'il écrivait, jusqu'à
le croire et le rêver, tombant de sommeil comme dans un piège qu'il
s'était à son insu lui même tendu, un piège du mourir, du mourir
sans issue : l'écriture... ce sursis à perpétuité.
Après la première page,
il relut aussi les suivantes et n'était plus certain de les avoir
écrites... mais qui d'autre? se dit-il... et puis dans la
colère de n'avoir rien su élucider, monsieur M. détruit son bureau
à coup de hache en hurlant et mit le feu à ces morceaux de cadavre
de bois avant d'y jeter les pages qu'il venait de lire, les pages
pleine de l'encre de ses nuits d'insomnies qui s'enflammèrent d'un
seul coup, à croire que chaque ligne était imbibée d'alcool... et
monsieur M. resta bouche bée à écouter le bruit des flammes comme
autant de cris, les cris des personnages brûlant d'une
vengeance qu'il ne leur avait jamais accordée...
Au fond c'est vrai, ces
personnages n'ont jamais eu leur mot à dire, ils étaient tous à sa
merci et c'est cette toute puissance, ce pouvoir injuste et ignoble
que monsieur M. ne supportait plus. En les brîulant cette nuit, il
espère secrètement que chacun de ses personnages se réincarnent
sous d'autres formes, métempsycose de leur âme dans d'autres mots
revenant sur les pages à venir pour se faire justice... car monsieur
M., rongé par la culpabilité, ne désire plus qu'une seule chose :
payer.
Commentaires