#151




 Vous avez choisi d'assurer votre propre défense, décision curieuse étant donné les preuves qui vous accablent. Avez-vous sincèrement quelque chose à ajouter qui pourrait jouer en votre faveur ?



« — Il faut que vous sachiez avant de me juger que depuis toujours règne dans mon silence un bavard, une vermine en détresse ne cessant de remuer dans sa propre boue. J'ai longtemps cru que cette voix s'agitant dans ma tête s'adressait à moi-même, qu'il s'agissait là d'une forme de dialogue avec ma conscience angoissée.
Aujourd'hui je sais que cette voix parle seule, qu'elle est un monologue sans adresse, un bruit de fond intérieur, souffle continu d'un vent brassé squattant ma pensée en déshérence, quand seul dans ma chambre, les rideaux tirés dès le matin comme pour faire de mon existence une ombre à l'oubli du jour, je ne fais rien, rien que me cogner contre les murs de mes regards dans le vide.
C'est dans ces instants d'étrange somnolence qu'une écriture se met en branle, rebut de ma parole esseulée, lâche, frustrée quand durant des mois entiers, je ne côtoie personne, dans la crainte et la haine du moindre regard, du moindre échange de mots ne serait-ce que pour aller faire les courses à l'épicerie d'à côté. Ces périodes d'isolement excessif et douloureux me donnent là un prétexte pour creuser à la source de cette logorrhée silencieuse d'homme se complaisant à macérer dans ses déchets.
Mais plus je creuse mon trou, plus ce que je cherche semble s'éloigner, un peu comme un rêve m'échappant dès le réveil alors que je lutte contre l'oubli qui m'envahit pour me le remémorer. Monsieur M. est né devant cette impuissance à me souvenir des raisons qui m'ont fait commencer à écrire des mots sans direction, sans but, comme si j'essayais là d'ignorer le suicide de chaque seconde qui passe, de donner la parole à un instant démesurément vide, si vide que j'ai été forcé de mentir pour noircir le brouillon d'une fiction dont je ne suis ni l'auteur, ni le personnage, juste le va et vient d'une main qui continue assidument un travail occupant les heures de la vie dont je me suis absenté... En effet, mes conversations silencieuses avec monsieur M. ont très vite asphyxié toute mon existence. J'étais exploité par mon propre personnage. Je travaillais pour lui des jours entiers, parfois sans m'arrêter, mangeant à peine et quand bien même la fatigue me forçait à me coucher, mes rêves, eux aussi étaient esclave de cette voix s'entretenant infiniment avec le néant.
Et puis est tombée la nuit du 29 novembre durant laquelle je n'ai pu en supporter davantage. Ma détresse à son paroxysme, j'ai fait exécuter monsieur M., non sans délectation, par esprit de vengeance, par instinct de survie aussi... car il fallait à tout prix que j'ai le courage de me débarrasser de sa voix qui à la longue aurait bien fini par me tuer.»





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