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...et dans cette ville de lumière cauchemardesque, à
l'aube de sa tombée, tout près, à un pas seulement de ses ruines
et de son sang sur les pavés, le cortège avançant comme un seul
homme au beau milieu de l'asphalte hurlante s'est tout à coup
arrêté. La foule s'est tue, muette pour un instant, le temps d'un coup de feu, avant de
repartir, silencieuse, remettant au silence médusé la cause qui les
avait fait descendre dans la rue.
Depuis l'incident, chaque témoin est revenu à lui
même, la gueule fermée, le ventre saisi de peur, de doute, à la
recherche d'un prétexte pour justifier à son reflet sa lâcheté.
La communauté d'un jour n'existe plus, elle s'est dissoute avec la nuit des illusions, des doutes des uns et des autres.
Aujourd'hui, monsieur M. les regarde marcher chacun de
leur côté, sans même se regarder, faisant mine de ne pas se reconnaître pour s'éviter des mots maladroits, embarrassés, le poing
levé désormais dans la poche, la tête baissée, tous devenus le
fantôme honteux d'une idée déçue, celle d'un possible lieu, là, quelque
part, en bas de chez eux, dans leur quartier, où tous pourraient se
reconnaître comme un frère d'arme avec lequel se battre pour ne pas
renoncer.
J'écris : le calme des rues amères
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