#60
Monsieur M. prétend répondre, sans aucune certitude certes, mais répondre sans
poser aucune question.
Afin d'obliger l'autre à prendre position.
Ici son rapport au monde de l'autre est une inévitable
confrontation.
Monsieur M. ne croit pas à un monde. Il croit aux mondes.
Chacun
son monde. Sa voix. Sa fiction. Son propre rapport aux arbres, aux
animaux, à l'autre qui est tout sauf un semblable. Il suffit de se
lire les uns les autres pour constater que nous sommes tous,
structurellement, d'une nature si différente...
Monsieur M. dit que chaque individu est une espèce dans l'espèce.
Monsieur M. est peut-être trop résigné (trop lâche aussi) pour
croire en une possible conciliation.
Il
pense que les mondes de chacun ont un seul et unique point
commun : ils portent tous une guerre en eux.
Il dit
incertain que nous ne sommes que malentendus, multitude de points de
vue contradictoires, de voix intérieures tentant vainement de formuler, d'une façon ou d'une autre, l'incommunicable...
Monsieur M. ne pense pas que le langage soit fait pour nous "permettre"
de dire le monde.
Il dit
que le langage est le monde, le monde est signifiant, il dit que
n'avons pas d'autre choix que de le subir... et qu'il y a
quelque-chose de tragique à cela...
Il dit
que nous ne décidons de rien, qu'il n'y a aucune solution face à ce
subissement. Au fond, nous ne ferions que passer dans l'existence
avec notre monde, celui de chaque homme échoué dans le langage.
Et
puis, il y a 58 minutes à peine, quelques mots de l'apatride déposés dans
ma boite aux lettres :
...elle
est...il est...nous sommes...vous êtes...ils sont...elles sont...
tous,
toutes et tout...sont structurés comme un langage...personne
n'en est épargné, nul n'y échappe à ce soubassement d'être ce
subissement subi subitement dès que chacun tombe dans ce monde...
J'écris :
couleurs de nulle part.
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