#58
Je
pense à l'inconnu, à son voyage.
Quelles
routes arpente-t-il en ce moment même? Là où il est, la
terre a t-elle la même odeur? Et les mers, de quelles couleurs
sont-elles? Les hommes et les femmes qu'ils croisent sont-ils toujours aussi prévisibles? Se méfie-t-il de la langue étrangère dans laquelle il a échoué?
Ou bien, s'est-il enfin apaisé?
Ou bien, s'est-il enfin apaisé?
Cioran:
« On habite pas un pays on habite une langue. Une patrie c'est
cela et rien d'autre. »
(Aveux
et anathèmes)
Après
tout, il est peut-être dans un de ces carrés de bétons multicolores,
puzzle de fenêtres éteintes sous des pancartes clignotantes, coin
d'une ville de vapeurs et de néons bon marché où l'on mange à
même le trottoir avant de remonter dans un de ces hôtels à l'heure
où l'on passe sa nuit à boire et à fumer tout seul devant la télé
allumée pour un peu de présence, pour couvrir les voix venant des
chambres voisines, voix des gémissements, des cris, des rires jaunes
et méchants, des silences d'une nuit à suer dans des lits défaits,
moites et défoncés...
J'ai
beau tenter d'imaginer à quoi ressemble son voyage, à quelles
épreuves sa solitude est confrontée, je ne sais rien.
Je
pense à la mort de notre correspondance.
Pour
quelle raison ne répond-t-il plus? Est-ce une décision
relevant de sa propre volonté? Quelqu'un l'aurait-il forcé?
Ou bien est-ce simplement le manque de temps? Un sentiment de
lassitude? Ou alors est-ce à cause de sa mort jamais annoncée
me laissant ainsi seul, dans l'attente morbide d'une absence qui
peut-être n'existe plus?
J'écris :
monsieur M. reste sans nouvelle.
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