#371
chaque jour envie
d'être un jour en vie
non certes sans regret
un jour d'être né
Beckett
Probablement une fille. Ça reste incertain. Comme son prénom. Emily peut-être. Pour Emily L. Parce-que T. aime particulièrement. Parce-que facile à prononcer par ici. Première rencontre à l'échographie : du noir apparaît furtivement un morceau d'Emily, puis un autre... elle n'arrête pas de bouger, écarte les jambes, silhouette de dos, de profil, bout de tête, main minuscule, rondeur des fesses, plante des pieds, leur empreinte blanche sur l'écran. On dirait qu'elle s'impatiente à chercher le sommeil dans des draps trop bordés; ou son corps endormi serait-il secoué par la force du rêve en cours ? À quoi rêve Emily ? Est-elle somnambule ? Sauras-tu à l'avenir la sauver de ses cauchemars ? Non, bien-sûr que non... Tes pouvoirs de père ont leurs limites infranchissables. L'air est parfois si écoeurant à respirer, arrière goût d'orange amère... Tu amerais la prévenir là où elle est, qu'elle puisse au moins avoir le choix de naître en connaissance de cause. Ne t'inquiète pas trop, regarde : elle semble déjà moins vulnérable que toi dans le noir... jusque-là journée de merde et voilà que tu l'aperçois ce soir. Ça ne te laisse pas de marbre. C'est beau. Naître est aussi beau qu'injuste. Un vers vietnamien te revient : la dette de l'origine reste impayée. Mais qui est endetté ? L'enfant qui doit son existence à ses géniteurs ? Les parents pour avoir mis au monde un être qui n'avait rien demandé ? Tu espères à l'avenir qu'Emily ne t'en voudra pas d'être née. Elle ne te devra rien. Aucun devoir filial exigé. Elle ne sera même pas obligé de t'aimer. Regarde, elle bouge encore, même sans prénom ni sexe certain, elle existe au delà de votre désir, vos attentes, vos craintes, vos propres mots... Emily existe déjà d'elle-même, seule, sans nous., dans le ventre de T., fait l'expérience intérieure d'une solitude existentielle qui l'habitera jusqu'à son dernier souffle de vie.
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