#346
Sache-le donc. Tu t'en allais toujours le cœur battant, à vif avec tes phrases indignées de ses colères, jamais apaisées par ses révoltes... Oui ! Sache-le... tu n'avais pas mal au coeur... Tu avais mal aux mots... Jusqu'ici sous ta tête en ébullition, tu causes avec ce qui t'humilie et t'indigne... Alors tu t'en vas avec la honte, te méprisant à force de croire à une virginité... Nul n'échappe au tranchant de son destin car aucun ne peut se délester de cet oracle qui l'a poignardé.
Ce fut ton impossible... et ta vie se soulagera quand tu sauras que tu ne seras plus... quand le sang ne battra plus et s'arrêtera dans tes artères écorchées.
Ne t'interroge pas sur comment finissent les histoires, elles se soldent toutes en solde de tout compte, et le monde continuera et explosera sans toi, unique certitude.
Ce ne furent que paroles en l'air, des paroles perdues... une sorte de matière noire du langage faisant graviter physiquement les hommes entre eux, les déformant autour des mots et sonorités du Babel des langues. Ce n'est que le couteau des mots, planté dans le coeur de tes vaines paroles... une palette esquissant des natures mortes, des choses mortes. Sache-le.
Je marche au milieu du monde sans me plaindre
Les uns ne me saluent pas Les autres si
Comme un arbre en la saison d'hiver
Je marche au milieu du monde Étranger Pourtant
Ce couteau dans moi
Qui ne rime qu'à souffrir
Je n'ai pas vu qui me l'a planté dans le coeur
Un homme au bras solide
Il ne m'a pourtant pas tué tout de suite
C'est bien ma chance
Il faudrait d'un coup retirer le couteau
Avec ma vie
Mais il n'y a personne pour cela pour le sang
Je marche au milieu du monde avec
Ce couteau dans le coeur
Paroles perdues
Aragon
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