#163
Assis dans ma cellule, je
m'efforce à traduire la voix venue de ce livre vide ouvert à la
première page sur la table de mes travaux forcés. Mais à peine ai-je posé la mine de mon crayon sur le papier qu'un doute
puissant me paralyse la main. Je ne peux me résoudre à faire
confiance au moindre mot, de peur de trahir cette voix... Que faire
pour la restituer sans la fausser ? Répéter au mot près ce que je
crois entendre ? Ou au contraire, ne plus prêter attention aux mots
prononcés et seulement rendre compte de l'angoisse qui les traverse
?
J'ai passé la nuit entière comme dans l'isoloir d'une vérité à
attendre douloureusement la première ligne. Je sens encore la
présence de la voix du livre mais elle ne dit plus rien. Elle
se tait comme pour m'écouter me taire.
N'en pouvant plus, je finis par
céder commençant par poser sur la première page, non sans un
certain embarras, une question comme si j'entamais avec ce livre une
conversation, celle d'un face à face avec cette voix à laquelle
j'ai l'impression de devoir rendre des comptes... Je dis :
«— Que sous-entendez-vous à
vous taire ainsi ?
— ... »
Presque une heure est passée
suite à cette question. J'ai beau ne plus entendre sa voix, je sens
qu'il est toujours là. Sa présence invisible est si intense qu'il
me semble l'entendre penser, cherchant au fond d'une interrogation
suffocante une réponse à formuler...
Puis elle surgit soudainement, au
moment même où ma vigilance m'abandonnait, comme un coup de
tonnerre éclatant le silence dense et insoutenable qu'il faisait
régner sur moi.
C'est en écrivant sa réponse que
j'ai reconnu, aussitôt la première lettre posée, la voix
majestueusement calme de monsieur M.... Elle disait :
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