#420


gaucherie des premiers gestes je ne sais pas te prendre dans mes bras la peur me fait trembler tu pleures tu hurles je te fais mal excuse-moi T. est si faible ne peut même pas parler me murmure sans souffle des choses d'une voix si basse qu'il me faut lui faire répéter trois quatre fois ça l'épuise ça m'épuise aussi d'être si épuisant impuissant sous le regard des autres familles des lits alentours qui m'épient des pieds à la tête parce-que je suis étranger ou parce qu'il voit que je suis dépassé oui ils ont tous démasqué mon malaise voient en moi un mauvais père toutes mes craintes sont confirmées dans la chaleur intenable de la chambre que nous partageons le polo trempé de sueur le front ruisselant je porte sur le visage la pâleur de la nuit blanche précédente celle qui t'attendait te voilà tu es née ce matin et à peine quelques heures après je baisse déjà les bras j'abandonne dis à T. ce serait mieux que ta mère soit là elle saura t'aider s'occuper de toi du bébé T. acquiesce et prend peur sait que j'ai raison il suffit de voir mon regard perdu pour savoir qu'être père n'est pas fait pour moi tu hurles à pleins poumons ma défaite au monde entier je pose ton petit corps ta petite tête sur le ventre de ma femme devenue ta mère tu tètes une bonne demie-heure je te regarde et ne fais pas encore partie de ta vie peut être n'en ferais-je jamais partie tu t'endors te réveilles à nouveau et pleures de plus belle T. ne peut plus rien faire elle tombe d'épuisement alors je te reprends dans mes bras nouvelle tentative vaine devant toi comme devant un texte dont je tourne les mots dans tous les sens sans jamais entendre sa voix son chemin je recommence recommencerai jusqu'à trouver l'incipit dont découlera notre histoire je ne peux pas abandonner je vais continuer je dois continuer ta page ne se jette pas à la corbeille tu pleures tu hurles te tord d'inconfort je me lève te berce avec des gestes jamais appris fredonne l'air d'une chanson inventée tout un savoir dont j'ignore l'origine fait soudain son apparition tu te calmes ouvres un oeil et me regardes pour la première fois j'aperçois un visage dans ta pupille noire celui du père que je deviens dans ton regard tu t'endors dans mes bras je suis fier T. me regarde en souriant ferme enfin les yeux apaisée victoire je prends confiance cette confiance que tu me donnes désormais je serai plus fort que ma peur face à tes pleurs face à toi plus rien ne sera jamais comme avant



Commentaires

anna a dit…
merveilleux! juste ça
Brigetoun a dit…
toujours intimidant le nouveau né - même ceux qui ont l'air pleins d'assurance doivent trembler un peu
toujours un sentiment d'être à l'écart pour le père, mais le lien est plus secret et attend de se révéler, au delà de l'instinct
La tenir dans sa chaleur, oreille contre cœur, amour contre amour, penser "je suis si bien depuis que tu es là, apprends-moi à t'aimer comme je t'aime.." La bercer dans cet amour et elle s'endort repue de la douceur de son papa...
Aunrys a dit…
La peur de ne pas être à la hauteur
et tout à coup ont comprend
qu'il ne faut pas être haut.
fragilité de ce être et fragilité de ces instants forcément inoubliables, comme une apparition.
Comme tu dis Luc, ce n'est pas la hauteur qui est importante mais la largeur du sentiment et celui-ci tu le tiens. Sans aucun doute.
Comment savoir qu'on sait déjà avant de se jeter dans le vide? Le petit être nous fait père. Dans son immense dépendance il nous invente. Et notre force est sans doute de nous laisser inventer. ça vient tout seul. Les gestes se souviennent de nous à travers les générations. les morts se souviennent à travers nous, comment être père.
Merci de ton témoignage.