#161



La porte de ma cellule n'est jamais fermée à clefs, à croire que je me suis enfermé de ma propre volonté. Au fond, je ne suis peut-être pas prisonnier. Ce lieu pourrait tout aussi être un refuge pour les âmes fugitives, un asile de rêveurs éveillés, ou bien tout simplement la demeure d'angoisse d'un homme à la dérive... Après tout qu'en sais-je ? J'ai échoué ici comme on jette un dé dans la nuit du hasard. Et je m'y suis perdu à en perdre de vue le point d'où tout est parti. Ne sachant comment revenir, je suis resté.

Mis à part pour l'enterrement de monsieur M., je ne suis pas sorti de ma cellule. Je ne connais rien de ma nouvelle demeure. Je n'y ai d'ailleurs croisé personne d'autre que ce petit homme en kesa noir dont je ne sais rien non plus, si ce n'est qu'il relève et lit chaque page que j'écris comme s'il y avait là une énigme à résoudre, l'aveu d'un lourd secret à déceler.
Aujourd'hui je sens qu'il me faut quitter ne serait-ce qu'un instant ma cellule tant je ne supporte plus l'air coupable de mes reflets sur les murs. Je vais ainsi à la découverte de ces longs couloirs inconnus et froids avec en moi ce sentiment tenace qu'une présence me suit du regard. Je crois même entendre l'écho d'un bruit de pas juste derrière le mien. Je me retourne brusquement... personne. Je fais quelques pas et me retourne à nouveau... rien. Je ne suis pas pour autant rassuré. Depuis mon arrivée ici, je crois aussi en ce que je ne vois pas et continue à soupçonner l'existence de cette présence. Alors timidement je demande : «— Qui est là ? » Et dans le silence resté sans réponse, je reconnais la présence familière d'une parole en train de se taire. Médusé, je me mets à courir comme à la vue d'un fantôme. J'ai beau hurler à m'en désaccorder la voix, taper aux portes à grands coups de poings, toutes restent fermées comme les yeux d'un lâche sur un crime qu'il feint d'ignorer. Seul, sans issue, sans secours ni espoir, je ne suis plus qu'un cœur qui bat au rythme de sa terreur. Rien d'autre. Et puis sans y croire, j'aperçois au bout d'un énième couloir le filet de lumière d'une porte entrouverte. Je m'y jette la tête la première, referme précipitamment derrière moi avant d'éclater en sanglot, à genoux, les deux mains sur la poignée. Je ne sais plus combien d'heures je suis resté ainsi contre la porte, effrayé à l'idée même d'être à nouveau pourchassé par cette menace invisible...

Après avoir réussi quelque peu à me calmer, à lâcher la poignée de la porte, je regarde autour de moi et comprends qu'il s'agit là d'une bibliothèque. Elle est immense. Labyrinthique. Tous ses rayons semblent étrangement vides. Il ne reste dans la poussière que l'empreinte des ouvrages disparus... Je me demande ce qu'ils sont devenus. Seraient-ils tous entre les mains de lecteurs ou sur leur table de chevet ? Ou bien les aurait-on brûler pour les faire taire ? Les pierres tombales jonchant la cour du cimetière recouvrent peut-être des cadavres de pages, de phrases, de vers, de voix, de mots enterrés vivants?

Soudain, l'angoisse me reprend à la vue d'un livre, le seul livre oublié sur une des étagères. Je ne sais pourquoi mais je suis certain qu'il a été oublié là volontairement. Dans la crainte, n'osant le saisir de mes mains, lentement je m'approche et comprends, à la lecture du titre sur la couverture, que ce livre n'attendait personne d'autre que moi...








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Le livre-révélateur...